Les premiers plans du Costume, plongée vertigineuse sur un paysage de Crimée où trois ados bagarreurs chevauchent un side-car rafistolé, promettent beaucoup : non seulement le réalisateur a en tête Il était une fois un merle chanteur d’Otar Iosseliani, mais il traîne derrière lui tous les films de passage à l’adolescence, des Garçons de Fengkuei de Hou Hsiao-hsien aux multiples avatars des 400 coups comme Le Singe ou Sweet sixteen. Trois jeunes gens fauchés mais animés de la même envie consumériste parviennent à s’acheter un costume de marque qu’ils se prêtent à tour de rôle pour briller aux yeux du monde. Malheureusement, l’idée centrale du costume comme fétiche et attribut du pouvoir (le manteau magique des contes de fées) demeure sous-exploitée, simple prétexte au récit des trois existences des copains : le Fonceur, le Muet et Gueka, tous sujets à de sérieux tracas familiaux, qui un père absent, qui une belle-mère aguicheuse, qui une mère instable, ex-harpiste aux doigts abîmés par les beignets chauds qu’elle doit vendre sur un marché. Ces vignettes longuettes sont parfois imprégnées d’une certaine justesse sociale et d’une loufoquerie calculée : les poissons vivants pêchés à l’épuisette chez le poissonnier ou la mamie du Muet qui vend son sirop sur une petite charrette… mais comme ces exemples le suggèrent déjà, on frôle dangereusement le cliché folklorique. Serait-ce parce que Khudoïnazarov, qui vit aujourd’hui en Allemagne, est venu filmer en Crimée alors qu’il est originaire du Tadjikistan ?
Le film souffre surtout de sa visée narrative exclusive, celle de l’initiation -la sainte trinité éducation sentimentale-émois sexuels-premier casse- à laquelle le réalisateur sacrifie même la vie de l’un de ses personnages, comme pour intimer brutalement aux deux autres de grandir après avoir montré pendant une heure et demie que grandir, justement, c’est rarement brutal. Le contraste entre le petit village côtier de la Mer Noire, et le clinquant de la ville, prostituées et grosses voitures de « nouveaux russes » compris, doit forcément aboutir à la destruction de cette galerie de santons naïfs qu’accompagne une musique souvent dansante : Khudoïnazarov, parce qu’il faut bien finir, casse son jouet et « tragédise » sa comédie. Dommage, car sa facilité à inscrire ses personnages dans l’espace, son maniement du travelling le long du port ou de la grue sur les hauteurs rocheuses font insister longtemps dans notre mémoire le sentiment du lieu, ce fragment de côte déchiquetée. Les plans de paysage à couper le souffle taillent donc trop large pour le scénario du Costume… cousu de fil blanc.