Tandis qu’à l’Ouest, tout va vite -le college movie, art de la précocité, du déjà-digéré, de l’initiation immédiate sans dialectique-, à l’Est, rien de nouveau. Les châteaux abritant les prestigieux lycées, les prestigieux élèves, les prestigieux fils d’anciens élèves devenus prestigieux, les parcs sur lesquels glissent les ombres de leurs uniformes impeccables, rien ne change. C’est toujours le même air d’Amérique fifties. On travaille à la reproduction (des classes, des élites, du pouvoir) quand sur les rives de l’autre océan on s’acharne à la reconstruction (de nouvelles normes, de nouveaux corps, de nouveaux rapports de domination). Le college movie prépa-Harvard ne cherche pas à être de son temps -sans doute parce qu’il n’a plus besoin de grandir-, quand son cousin californien rejoue éternellement sa puberté.
Le Club des empereurs est un rejeton volontairement anachronique de ce genre qui connut son heure de gloire avec Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir. Etre anachronique veut dire céder un peu de terrain à l’esprit réactionnaire, forcément, la question de la décrépitude des valeurs morales d’ancien régime étant immanquablement posée sur la table. Mais cela ne va pas sans une certaine gêne, tant il est rédhibitoire, pour un réalisateur américain, d’avoir l’air d’un vieux con (jeune, ça passe beaucoup mieux). Cette gêne est au coeur du film de Michael Hoffman et sa parade pour la contrer, si elle semble visiblement le satisfaire (le côté « contrat rempli » du film), est fondée sur une attitude de neutralité molle pire que tout : le réalisateur est un peu trop consensuel pour verser dans le cynisme, pas assez cynique pour se vautrer dans le consensus. Il rate à la fois sa grimace, sa moue et son rictus.
Dans les années 70, un fils de sénateur déboule, un peu débraillé, dans le cours de civilisation latine d’un prof arc-bouté sur ses valeurs mais plutôt bon bougre. D’abord, un trajet bien balisé : le petit rebelle s’assagit, devient premier de la classe sous les bons auspices de son mentor. Mais au quizz de fin d’année, effrayé à l’idée de décevoir, l’élève triche et se fait repéré. Terminée l’idylle sur fond de Carthago delenda est. Vingt ans plus tard, séance de rattrapage : le trublion devenu grand convoque ses anciens camarades de classe, son vieux prof, et s’offre une nouvelle chance. Mais l’époque n’étant plus à la noblesse, il ne peut s’empêcher de gruger à nouveau. Bien sûr, il sera puni (par le sermon du prof, par le regard de son petit garçon) et, pour sauver la face un peu plus, le reste de la classe se répand en hommages, remerciements, messages de gratitude.
Dès qu’il s’agit de dévier du film initiatique pour s’avancer sur un terrain ambigu (comment faire l’apologie de valeurs qu’une époque entière a, selon un axiome posé d’emblée, rejetées ?), le réalisateur démissionne à toute allure. Affreux apôtres de la décadence morale d’un côté, reliques d’un ordre disparu de l’autre, chacun reste dans son coin et on prend bien soin d’éviter toute rencontre -ne serait-ce que tactile-, d’évacuer ce qui pose problème. Entre salauds et honnêtes (trop honnêtes) citoyens, il ne saurait y avoir de dialogue, ce serait risquer d’enrayer la mécanique de la démonstration pleine de lieux communs. Le négatif est nié, trop dangereux, moins + moins = plus. Oui, mais pendant ce temps-là, plus personne ne lit les Vies des douze Césars.