Cela commencerait presque à devenir un genre : les disques de hip-hop commercial ironiques. Moins de six mois après le cyniquement jouissif album de Mike Ladd sous l’alias des Majesticons, c’est aujourd’hui Prince Paul qui nous propose avec Politics of business ses propres variations amères sur les sons à la mode dans le rap US contemporain. Mais là où Mike Ladd faisait jouer jusqu’au bout le jeu à ses clones bling-bling, en ne jetant le masque qu’à la toute fin du disque par un skit en forme de pirouette, Prince Paul étale sa rage dès le livret, puis sur tous les morceaux de l’album. Tous ceux qui ont suivi avec un peu d’attention l’erratique carrière du producteur magicien de 3 feet high & rising au cours des années 1990 connaissent les sautes d’humeur du bonhomme. Accablé par l’échec commercial du troisième LP des De La, il invente pour la peine le rap gothique en formant aux côtés de RZA les Gravediggaz, puis tente de se suicider commercialement avec l’étonnant disque à sketches Psychoanalysis – What is it ? Il se manque, Psychoanalysis… bénéficiant même d’une réédition chez Tommy Boy. Requinqué il se lance alors dans la superproduction Prince among thieves qui, comme toutes les superproductions, voit ses qualités réelles ensevelies sous le poids des stars réunies. Et on le croise également, plutôt en forme, aux côté de Dan The Automator, cet autre excentrique du rap US, au sein de la Handsome Boy Modelling School.
C’est ensuite que les choses ont commencé à merder : problèmes de label, décès, querelles domestiques, vols d’idées, la liste de ses tourments de Prince Paul dans les dernières années fait rien moins que 8 lignes dans les notes de pochette de Politics of business. Nourri de ces expériences amères, c’est un disque de résistance, plein de colère et de fierté, mais aussi de fiel, qu’il nous jette à la gueule depuis le maquis de l’indépendance où il s’est retranché une nouvelle fois, comme à l’époque de Pychoanalysis. Dans une démarche paradoxale qui rappelle, dans un tout un autre genre musical, celle de Lawrence lorsqu’il avait lancé Denim après l’aventure Felt, c’est en se mettant à son tour à produire aux standards du marché que Prince Paul a décidé de défier l’industrie du disque. « Since biting is no longer a crime, I gave it a try (a painfull process needless to say) » note-t-il avec un cynisme apitoyé. Le nouveau Prince Paul pose donc en copieur autoproclamé des sons à la mode, des syncopes digitales des Neptunes (Make room) jusqu’aux coups de machette electro de Timbaland (Not tryin’ to hear that), en passant par le folk mou à la Common (Beautifully absurd). Et puisqu’il en faut pour tous les goûts, il y a même du Dj Premier (So what), mais avec une voix caractéristiquement Westcoast (en l’occurrence, celle du vétéran Kokane). Le tout entrecoupé de skits parfois drôles (A Day in the life et sa caricature (?) de record executive hypocrite), parfois simplement cruels ou pathétiques (les multiples samples du répondeur de Prince Paul).
Mais que cherche-t-il vraiment à prouver à travers ce disque ? Que, malgré son âge, son caractère entier, sa carrière erratique, il reste au niveau ? Qu’il soit rassuré, c’est le cas. Le problème étant plutôt que le niveau a pas mal baissé depuis 3 feet high. Que c’était mieux avant, alors ? Pas la peine de faire un album aux standards de 2003 pour s’en rendre compte ; la liste des guests de Politics of business (Chuck D, Ice-T, Erick Sermon, Masta Ace, Chubb Rock…) ne fait que le souligner plus clairement encore. Ou, tout simplement, que Prince Paul ne va pas très bien en ce moment ? C’est sans doute le message le plus évident de cet album. Et c’est aussi ce qui le rend, finalement, assez pénible à écouter sur la longueur, l’amertume qui le parcourt se heurtant à la nature essentiellement fun du hip-hop. Mais, si l’on veut bien écarter tout ce que Politics of business peut avoir de stérilement acrimonieux, il reste quelques excellents moments de pur rap -Dave de De La Soul et Truth Enola sur le sombre Drama queen, les duettistes Eastcoast-Leftcoast Guru et Planet Asia sur Not tryin’ to hear that, ou encore Original crhyme pays et son chassé-croisé entre Tash des Liks, les Beatnuts et Tony Touch. Et là, ce n’est plus ironique, ni à la mode. C’est juste bien.