« Elles sont chaudes et humides quand on les utilise, sous la domination de Vénus, et elles provoquent une violente lubricité ». Elles, ce sont les orchidées : c’est en tous cas ce qu’affirmait le très sérieux British Herald Guide il y a un peu plus de trois cent ans et ce qu’on sera tout à fait près à croire après avoir lu les 350 pages de l’épatante enquête de la journaliste (au New Yorker) Susan Orlean dans l’univers parallèle des amateurs d’orchidées américains. Il faut dire que dans certaines régions des Etats-Unis, la recherche et la collection de ces fleurs au couleurs diaboliques fait figure de véritable syndrome collectif : des obsédés compulsifs sont capables de parcourir des milliers de kilomètres en avion, de s’immerger jusqu’au cou dans la fange puante de marais crasseux et même d’y affronter des alligators pour mettre la main sur une variété qui enrichira leur serre personnelle. « J’avais l’impression de rencontrer de plus en plus de gens qui ne paraissaient absolument pas appartenir à notre époque », raconte l’auteur. Pour les doux dingues qu’elle a croisé sur sa route, l’orchidée est plus qu’une marotte de botaniste amateur : c’est un objectif permanent, un désir dévorant, bref, une véritable façon de vivre.
Ecrit dans la grande tradition du journalisme littéraire à l’américaine, Le Voleur d’orchidées (traduit en 99 et réédité à l’occasion de son adaptation à l’écran) part, comme un bon polar, d’un fait divers authentique : dans un marécage du Sud de la Floride, un collectionneur nommé John Laroche et trois de ses acolytes ont volé des orchidées rares d’une valeur inestimable (certaines pièces s’arrachent à plusieurs milliers de dollars l’unité). L’enquête peut commencer, émaillée de rencontres invraisemblables, d’anecdotes curieuses et de découvertes ahurissantes. Le monde des orchidées a ses poètes (attendez-vous à croiser la route d’un ancien universitaire reconverti dans l’horticulture qui récite Yeats et Shakespeare à ses boutures pour en accélérer la croissance) et ses self-made-men (un affairiste de la fleur qui règne sur des kilomètres carrés de serres bourrées de plantes de luxe hors de prix), ses légendes et ses arnaques (au siècle dernier, des centaines de promoteurs peu scrupuleux ont vendu sur papier des bouts de marécages inconstructibles à des clients naïfs persuadés d’avoir trouvé l’eldorado), ses aventuriers (qui parcourent la planète à la recherche de nouvelles plantes) et ses malfrats ; une sorte de petit univers peuplé d’allumés et régi par ses codes propres, que Susan Orlean s’efforce de décrypter en payant parfois de sa personne. Car outre des horticulteurs passionnés et des voleurs d’orchidées prêts à tout, elle a aussi eu affaire à quelques milliers de moustiques, au bourbier odoriférant du Fakahatchee et aux alligators qui s’y promènent. Autant dire que ce Voleur d’orchidées, qui s’est arraché aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne lors de sa parution, ne manque ni de rythme, ni d’aventures. Contrairement aux idées reçues, l’horticulture n’est pas forcément une activité contemplative.