En pleine ébullition dans les années 80 -voir les chefs-d’oeuvre de Souleymane Cissé-, le cinéma africain semblait depuis tombé dans un certain oubli notamment à cause de l’absence d’auteurs capables de relancer l’intérêt des cinéphiles. Réparation est faite depuis quelques mois : après l’excellent En attendant le bonheur d’Abderrahmane Sissako, c’est au tour d’Abouna de prouver qu’il y a encore une vie pour le 7e art sur le continent africain. A partir d’un fait divers observé au Tchad -les maris qui disparaissent du jour au lendemain abandonnant femme et enfants-, Mahamat-Saleh Haroun imagine un émouvant récit d’apprentissage emprunt d’une poésie qui doit autant aux magnifiques décors naturels du film qu’à la foi du cinéaste en les vertus presque magiques du cinéma. Tahir, 15 ans, et Amine, 8 ans, se réveillent un beau matin et apprennent que leur père a disparu. Après une période de déni durant laquelle ils n’ont de cesse de chercher leur paternel, croyant même le voir sur un écran de cinéma, les deux garçons sont bien obligés de se confronter à cette brutale absence.
A l’opposé du cinéma sur-sursignifiant qui compose la majeure partie de nos fictions, Mahamat-Saleh Haroun laisse planer un certain mystère sur son histoire en multipliant les ellipses : du père, l’on ne retiendra que le regard-caméra au début du film, lors de sa fuite, un regard qui laisse le spectateur face à un vide et à un océan de possibilités. Tout le cinéma de Haroun repose sur cette manière de conduire une histoire sans avoir recours au surlignage. Car ce qui intéresse le cinéaste, c’est moins de savoir pourquoi le père est parti que les répercussions de ce départ sur l’âme de ses jeunes héros. D’une extrême douceur, Abouna développe toute une panoplie de pastels à partir des paysages tchadiens dans lesquels évoluent les personnages. Une manière de relativiser ou d’apaiser le drame comme si la destinée humaine faisait partie d’une évolution naturelle d’ensemble. Impression renforcée par la très belle scène initiatique au cours de laquelle Tahir et Amine traversent le fleuve avec leur oncle. Du récit d’Haroun émane aussi une croyance en la magie des images, une manière de transformer l’action en une série de sortilèges : la présence incongrue du père sur l’écran de cinéma, la mort d’Amine signifiée par un lent travelling vers l’extérieur. Plutôt que de chercher le sens, Haroun s’en remet ainsi aux maléfices et enchantements d’une nature dont il souligne les voies impénétrables grâce aux possibilités infinies d’une caméra presque vaudou.