Stephen Daldry vs Virginia Woolf, Billy Elliot vs Mrs Dalloway, l’issue du combat ne fait guère de doute. Film d’actrices, film à Oscars, The Hours met en scène trois femmes à trois époques différentes, trois vies reliées entre elles par une belle journée de juin et une réception qui s’annonce : cette fameuse tranche de vie de Clarissa Dalloway. Nicole Kidman, méconnaissable, incarne Virginia Woolf au moment où elle compose son roman. Julianne Moore est une lectrice anonyme de Mrs Dalloway, quelque part dans une banlieue américaine des années 50. Meryl Streep, quant à elle, joue Clarissa, une femme d’aujourd’hui, vivant dans un grand appartement new-yorkais avec sa compagne, Sally, veillant sur un poète mourant, à qui elle prépare, en cette belle journée de juin, une réception.
Sur une compile de musiques de Philip Glass, Stephen Daldry construit un film assez pompeux, une ennuyeuse ode à la lecture comme expérience décisive fondée essentiellement sur des performances d’actrices guère passionnantes (Julianne Moore est bien, comme toujours, Nicole Kidman n’a pour seul titre de gloire que de s’être fait poser un faux nez) et des petites audaces sans doute considérées outre-Atlantique comme le comble de la subversion (quelques scènes saphiques très proprettes). Mais surtout, en tant que « film de femmes », The Hours (qui fut le titre provisoire de Mrs Dalloway), malgré ses atours féministes (l’alibi Woolf) se révèle paradoxalement nourri d’une forme discrète et inconsciente de misogynie. Le film s’ouvre et se termine par le suicide de Virginia Woolf, en 1941, conclusion tragique d’une existence rongée par une fêlure intérieure dont ses romans sont imprégnés. Le volet qui lui est consacré, et qui se déroule en 1923, met en scène une femme névrosée, torturée par l’angoisse créative, rétive aux attentions de son entourage, recluse dans une retraite, au bord de l’asphyxie.
Or, 1923 c’est, de son aveu même, la période la plus heureuse de l’écrivain, comme un répit dans un itinéraire de souffrance. Elle écrit Mrs Dalloway d’une traite, ce qui ne lui était jamais arrivé, elle multiplie ses activités dans l’édition et la critique littéraire. De cela, rien ne ressort ici. Cette biographie arrangée et mensongère de Virginia Woolf sert le propos du film, qui revient à dire que les femmes, épanouies ou non, fortes ou fragiles, sont condamnées au malaise existentiel. Pas les hommes : ceux-ci sont insignifiant (le mari de Julianne Moore), trop protecteur (celui de Virginia Woolf), ou pourvu de bonnes raisons pour douter et se donner la mort (le poète maudit new-yorkais), mais surtout pas en état de désir. Cette vision assez vulgaire, quasiment hormonale de la féminité (cherchez bien, il y naturellement quelque chose qui ne tourne pas rond chez elles), stoppe net tout élan de compassion que l’on pourrait ressentir vis-à-vis de ce produit incroyablement snob, trop prétentieux pour être honnête.