Shinji Aoyama poursuit, imperturbable, sa lente odyssée vers le court-métrage et, parallèlement, sa précoce déchéance. Car de Eureka et ses 3h37 aux 71 minutes de cette Forêt sans nom, en passant par Desert Moon (2h11), il s’agit plus que d’une dégringolade chronométrique. Classé d’office parmi les jeunes cinéastes japonais les plus singuliers avec Eureka, longue et envoûtante séance d’apnée parmi les paysages sépias d’un Japon semi désertique en scope en compagnie de survivants traumatisés par un crime, Aoyama s’est depuis perdu, définitivement peut-être, dans une rhétorique éléphantesque. Desert Moon, son deuxième film, bouffi de prétentions auteurisantes, révélait la cicatrice : sous couvert de l’analyse ratée du malaise de la société japonaise moderne, le véritable sujet caché du film était le malaise du cinéaste lui-même, incapable de faire prendre en charge un discours cohérente par une mise en scène lisible.
Rien n’est résolu par cette forêt sans nom, oeuvrette étrange, assez bâclée dans son exécution, au propos flou, sans réelle impulsion de cinéma. Le film a pour cadre la retraite champêtre d’une secte -grand sujet japonais de ces dernières années- où débarque un détective novice et légèrement loufoque, Mike, mandaté par un homme riche pour récupérer sa fille, happée par une gouroute professant le dénuement matériel et moral afin de retrouver le sens de sa vie et la nature de ses désirs. La Forêt sans nom commence par se chercher un genre plutôt que les mélanger, naviguant laborieusement entre polar claudiquant, comédie déjantée et pensum existentiel, le tout mâtiné d’une ironie vaseuse. N’ayant pu trouver de port d’attache, Aoyama s’enlise dans une sorte de bouillie dérisoire et chichiteuse, à l’image de son héros, sommé par le mentor de la secte d’aller dans l’étrange forêt (sans nom), que l’on dit vivante, voir « un arbre qui lui ressemble ». A mesure que personnage, film et cinéaste s’enfoncent dans les ténèbres boisées, on découvre le véritable enjeu du film : aller voir, face au miroir, ce qu’est devenu le cinéma d’Aoyama. La réponse est sans appel. Car l’arbre est censé révéler à son sosie ce qu’il désire, vraiment, au fond de lui. Et cet arbre, il ne renvoie rien d’autre à Mike que son reflet. La Forêt sans nom ne renvoie d’Aoyama que l’image d’un cinéaste sans désir, dont l’inspiration semble s’être évaporée, et qui erre, comme une âme en peine, dans les labyrinthes d’un sous-bois anonyme, à la recherche d’une clairière, d’un peu de lumière, pour éclairer sa lanterne.