Une petite farce de 150 courtes pages pour égayer un peu les célébrations convenues du centième anniversaire du plus célèbre prix littéraire français : Iegor Gran, qui sait être drôle (l’hilarant et astucieux Specimen mâle) mais aussi l’être moins (le décevant O.N.G. !, couronné par le Prix de l’humour noir), tire à la ligne pour faire un petit roman de ce qui aurait pu rester un long article et aligne des lieux communs que son style ne parvient pas toujours sauver. L’argument est simple : « On le sait, chaque automne depuis cent ans, le Goncourt est attribué au livre le plus insignifiant de la rentrée », explique la quatrième de couverture. C’est effectivement ce qui se passe la plupart du temps, mais Gran imagine que le jury le fait exprès : dans le Truoc-nog, le Goncourt devient un « prix repoussoir » qui, même s’il fait toujours vendre des dizaines de milliers d’exemplaires et remplit les caisses de son éditeur, ruine à jamais la réputation et la crédibilité de son malheureux auteur. « Tes amis te lâchent ; Tu as l’impression d’être seul, en pleine montagne, sur un tire-fesses cassé. Et là, vingt ans après, tu nous écris un véritable chef-d’oeuvre. Et ton éditeur te le refuse. Ou bien il l’accepte par charité chrétienne, et personne ne le lis. Tout ça parce que tu portes la marque sordide, ce prix Goncourt que tu as eu il y a vingt ans, et qui étais mérité car tu n’étais par Proust… ».
On suit donc la trajectoire angoissée d’un héros surnommé Goncourable en souriant ici et là devant une formule bien sentie ou un gag réussi ; l’ennui guette cependant, et l’on ne va jusqu’au bout de ce petit crime de lèse-majesté que parce qu’on sait qu’il n’est pas bien long. A part deux ou trois fantaisies à sa manière, Iegor Gran n’a décidément pas grand-chose à offrir qui puisse sauver ce Truoc-nog de la banalité. Il s’y enlise d’ailleurs un peu plus encore dans une postface où il explique comment lui est venue l’idée du roman : surfant un jour sur le web, il découvre la liste des lauréats du prix depuis sa création, en 1903. Il la compare aux grands noms de la littérature du XXe siècle et constate que l’écart est abyssal, tente de la réciter les yeux fermés et se rend compte qu’il n’en connaît qu’une quinzaine de noms, au mieux. Qui se souvient de Pourry, de Arland, de Fauconnier, de Constantin-Weyer, là où les génies du siècle s’appellent Céline, Camus, Blondin, France ou Jarry ? Personne, bien sûr. Et Gran de nous lancer un clin d’oeil appuyé avec l’impression, peut-être, de soulever un gigantesque lièvre. Son Truoc-nog enfonce la porte la plus ouverte du paysage littéraire moderne.