Ratcatcher, le premier film de Lynne Ramsay, en 1999, était l’une des vraies bonnes nouvelles de ces dernières années pour le cinéma du Royaume-Uni. C’était un film curieux de tout, zébré de quelques éclairs de talents, immédiatement attachant. Ses écueils les plus voyants -la joliesse des visions oniriques, les tics de photographe (le premier métier de la réalisatrice), la caméra poétisante tournant à plein régime- y fonctionnaient moins comme les limites d’un imaginaire volontariste que comme ouverture décomplexée sur un territoire naïvement fantasmé. Le Voyage de Morvern Callar, quant à lui, est une vraie mauvaise nouvelle pour Lynne Ramsay et, par ricochet, le cinéma britannique. L’enfance de Ratcatcher a mal grandi. Que s’est-il passé ?
Comme dans Ratcatcher, tout commence par une mort, un cadavre qui impulse le récit/voyage. Morvern Callar, 21 ans, est allongée près du cadavre de son compagnon gisant dans une marre de sang, les veines tranchées. Il a laissé un mot, un dernier « I love you », une cassette de chansons fétiches et un roman achevé, que Morvern aura pour tâche de faire publier. Morvern, impassible, tait ce suicide, se débarrasse du corps et part en Espagne avec sa meilleure amie et l’argent de son compagnon, tout en ayant pris soin d’envoyer le manuscrit sous son nom. Commence alors un périple où si le cadavre est effacé, le défunt écrivain remplacé, l’amoureux mort, lui, est toujours présent via sa musique, que Morvern écoute en boucle sur son walkman. Ce qui séduisait tant dans Ratcatcher s’est effacé au profit d’une mécanique d’imageries reprenant à son compte les poncifs éculés du film de filles perdues et du road movie initiatique : pour la mise en scène : ambiance sueur des vacances façon Ibiza, filtres brûlants pour l’échappée dans le sud de l’Espagne, retour semi glauque dans les terres grises d’Ecosse ; pour l’histoire : quelques rencontres, deux ou trois engueulades, des nuits d’ivresse, une séparation, des accolades.
Ce qu’il reste ? La musique, encore, ou plutôt l’art de la bonne musique sur la bonne image (dans Ratcatcher, c’était Gassenhauer de Carl Orff sur un rêve de souris dans un champ de blé) : Lee Hazlewood et le Velvet Underground flottent parfois délicatement sur des scènes mélodieuses. Le walkman de l’héroïne lance les chansons, les coupe rapidement, pour de brèves séances de zapping musical rythmant les meilleurs moments du film. De temps en temps, Lynne Ramsay parvient à insuffler un peu d’étrangeté dans son film, au détour de quelques séquences nocturnes, ou avec cette affaire d’imposture littéraire qui plane en silence sur toute la virée européenne. C’est tout, hélas, et si l’on aime un tout petit peu ce film, ce sont les restes de l’amour porté au précédent. Alors on attendra quand même le prochain film de Lynne Ramsay avant d’enterrer nos illusions.