Il y a quelques mois, l’annonce de la séparation du formidable trio Antipop Consortium laissait présager trois fois plus de bons disques, donc trois fois plus de bonheur. Première giclée, ce premier opus solo de Beans nous fait malheureusement déchanter, et nous poser une grande question : et si APC était avant tout une fragile alchimie ? Non pas que ce Tomorrow right now soit foncièrement mauvais, loin de là, mais force est d’avouer qu’il est, malgré ses moments de bravoure, étouffant, épuisant, bref, pas très fun. La force du trio tenait effectivement, on s’en rend compte en écoutant les quatorze incartades un peu hermétiques de l’album, d’une parfaite équation entre ses composantes expérimentales et une force de frappe monumentale, conquérante et irrésistiblement groove. C’est ce dernier élément qui manque aux recettes de Beans, dont l’univers apparaît ici irrémédiablement clôt, monomaniaque, abscons.
On retrouve pourtant avec plaisir son flot fabuleux, taciturne et sombre, virtuose et bavard. On retrouve aussi son écriture habile, plaine de bruit, de profusion, de traversées, de décalages et de rapports linguistiques non ou mal identifiés. Beans est peut être le Mc le plus ébouriffant de feu APC, et bon dieu, ça s’entend ici, dans tous les recoins. C’est au niveau instrumental, bêtement, que ça coince : le Mc/producteur a beau faire tourner ses patterns de beatboxes et de basslines dans tous les sens de leur fonction random, il ne sublime jamais de transcendance musicale. Ca ne respire pas, ça ne tourne pas, c’est robotique, froid, ennuyeux, comme beaucoup trop d’injonctions modernistes mal bouchées. Beans en arrive même à bousiller ses aventures rapologiques, à les étouffer sous le n’importe quoi industriel de ses machines (c’est flagrant sur les très laids Mearle et Sickle cell gysteria).
Si ce disque s’appelle un peu prétentieusement Tomorrow right now, on a surtout l’impression qu’il va un peu nulle part. La glace ne fond jamais, le groove ne s’enclenche pas, et on reste dubitatif devant cette musique hybride dont on sait qu’elle ne mènera probablement nulle part et restera morte née, quand les disques d’APC laissait présager un futur radieux à un certain type de hip-hop libertaire. « Too many Mcs and not enough listeners », se plaint Beans sur le tour de force a capella Crave : malheureusement pour lui, ce n’est pas avec cet album qu’il risque d’en réunir plus autour de son art difficile, autrefois intransigeant, ici trop renfermé sur lui-même pour laisser à l’auditeur la possibilité de s’y faire une place.