C’est avec Coruscating, en 1999, que John Surman avait inauguré son travail avec le contrebassiste Chris Laurence et le « Trans4mation String Quartet » (Rita Manning et Patrick Kiernan, violons ; Bill Hawkes, alto ; Nick Cooper, violoncelle) : un splendide album à la croisée de la musique de chambre et du jazz, dans lequel le quatuor à cordes formait un écrin velouté et élégant pour les longues phrases mélancoliques du saxophoniste anglais et, dans les graves, les lignes pointillistes de son compère. Leur collaboration n’a pas cessé : « Aujourd’hui, explique Surman, plus personne ne considère ce projet comme une sorte de performance, ce qui fait que l’on se sent ensemble comme un véritable groupe. J’ai appris que cet orchestre recelait bien plus de potentialités que je l’avais imaginé, et j’ai gagné en confiance : je sais aujourd’hui à la fois ce que je peux écrire pour le quatuor et la place que je peux laisser à l’imagination des solistes ». The Spaces in between serait donc, à entendre son auteur, un disque plus abouti que Coruscating dans l’intrication du quatuor et des deux solistes et dans le rapport, toujours délicat dans ce genre de contexte, entre écriture et improvisation. On est tout à fait prêt à le croire, et l’on retrouve avec plaisir dans ce nouvel opus ce qui faisait la force et le charme du précédent : la réussite de la rencontre entre la musique contemporaine et le jazz, l’originalité d’une fusion qui n’est pas seulement un balancement de l’une à l’autre, et la splendeur du travail d’orchestration de Surman, à qui l’on ignorait jusqu’à une date récente ses compétences en fait d’écriture pour cordes.
Entièrement issu de sa plume, le répertoire s’articule autour de la pièce éponyme, véritable clef de voûte de l’album, significativement placée en son milieu ; plusieurs pièces sont issues de précédentes expériences de Surman et adaptées pour le quatuor : Moonlighter, initialement écrit pour orchestre de jazz ; Mimosa, un inédit composé voici quelques années pour le trio Thimar (avec Anouar Brahem et Dave Holland) ; You never know, écrite dans les années 1970 pour la danseuse Carolyn Carlson. Le plus beau morceau du disque, peut-être, et en tous cas le plus original, demeure néanmoins une composition récente, Wayfarers all, qui, avec son mélange parfait d’inflexions jazz et d’influences classiques (on jurerait parfois entendre un compositeur de musique de chambre anglais du dix-neuvième) ou, lointainement, celtiques (on sait tout le travail effectué par Surman autour des folklores), justifie à elle seule l’acquisition du disque. Pour le reste, si les amateurs de jazz « pur et dur » pourront parfois trouver le temps long, ceux qui avaient suivi les précédentes expériences de Surman dans le même registre transfrontalier, au bord de la musique classique, (Coruscating, donc, mais aussi son somptueux enregistrement avec orgue et chœur, Proverbs & songs), goûteront une nouvelle fois sa beauté discrète, sans ostentation, savante et directe.