Eh oui, le cadavre du turntablisme bouge encore. Grâce à des titres vieux de plus de 20 ans, certes (se rend-on vraiment compte de ce que cela signifie : davantage de temps s’est écoulé depuis The Official adventures of Grandmaster Flash & The Wheel of steels qu’entre Love me do et London calling…), mais enfin, il bouge. Comme en attestent ces deux livraisons tirées des doigts experts respectivement des X-Ecutioners, réduits pour l’occasion à un trio (exit Mista Sinista), et de leur élément le plus médiatique, Rob Swift.
Débutons par le disque le plus intéressant du lot : les 45 minutes produites par Rob Swift pour la série Under the influence du label san-franciscain Six Degrees, inaugurée en 2000 par un assez bon mix de Dj Spooky (qui n’est jamais meilleur que lorsqu’il oublie ses poses logorrhéiques pour jouer les disques des autres). Rob Swift souhaitait donner à ses auditeurs un petit quelque chose de plus que les habituelles démonstrations techniques du genre ; son mix est de fait une construction aux jointures finalement assez discrètes, dont l’intérêt principal réside d’abord dans les titres qu’il a sélectionnés. Non pas que les phases scratchées y soient inintéressantes ou forcées : les amateurs retrouveront ici son style fluide et décidément très musical. Simplement, sa sélection surprend ; et l’on se retrouve plus d’une fois à stopper son activité pour écouter plus attentivement tel ou tel morceau : un breakbeat remarquable ici, une antiquité rare de l’histoire du D-Jaying là.
Désireux de rendre hommage à son frère, qui l’a introduit aux syncopes du funk dans les années 1970, Rob Swift débute son disque par une série de perles Deep Funk made in New Orleans, pour la plupart inédites (quelqu’un connaît-il les Vibrettes ou CL Blast ?). L’occasion de découvrir que le grenier aux breaks est décidément inépuisable, entre Soul Power par les Soul Powers, qui sonne comme le légendaire Apache de l’Incredible Bongo Band, les hurlements de dément et la guitare shaftienne de Chuck Carbo ou l’orgue indestructible du Mercy D de Sam & The Soul Machines (de l’étoffe dont les disques de Dj Shadow sont faits). De quoi démontrer, si cela était encore nécessaire, tout ce que la musique d’aujourd’hui doit aux artisans du rythme du pays du vaudou et des crocodiles. Rob Swift saute ensuite sans transition (mais avec scratch) une dizaine d’années, en attaquant avec l’ultra-classique One for the treble de Davey DMX, une séquence scratchadélique consacrée aux maîtres 80’s du genre, de Charlie Chase, le Dj des oubliés Coldcrush Brothers, à… Rob Swift, en passant par Marley Marl (avec l’authentiquement impressionnant The Man Marley Marl). Le tout se terminant sur des accents latinos rappelant les origines portoricaines de notre homme, au terme d’un exercice en tous points remarquables de cohérence et d’efficacité.
Scratchology, qu’il a compilé avec ses deux compères des X-Ecutioners Total Eclipse et Roc Raida se veut plus didactique, compilant en une douzaine de titres l’histoire des 20 ans du turntablisme. Certes, il y a du très classique, qu’on a tous déjà au moins en triple exemplaire (Grandmaster Flash on the wheels of steel, le Rockit d’Herbie Hancock, Davey DMX -encore !), mais il y a aussi des morceaux beaucoup plus rares (Grand Wizzard Theodore, le Dj qui inventa le scratch, en live avec Grand Mixer DXT, Mixmaster Gee & The Turntable Orchestra, Ugly people be quiet de Cash Money & Marvelous Marvin). Et surtout quelques morceaux qui sortent du cadre traditionnel du « Dj-Track » en représentation (le remix du Shut‘em down de Public Enemy par Pete Rock, un vieux Third Bass de 1990), rappelant opportunément qu’un Dj sert avant tout à faire danser. Mais, que les amateurs se rassurent, ils retrouveront également les principaux acteurs de la scène des 90’s à la fin du disque (les Beat Junkies, les Skratch Piklz et, bien sûr, les X-Ecutioners eux-mêmes). On saluera également les remarquables notes de pochettes des trois compilateurs, brèves mais très informatives. C’est donc de l’excellent boulot, remplissant parfaitement la commande et par conséquent digne de figurer dans la discothèque de toute école de D-Jaying qui se respecte.