Le premier album du groupe américain The Polyphonic Spree est, pour l’instant, un paradoxe typique de journaliste. Monté de manière très maligne par un vieux routard de l’indie américain, ce groupe de pop n’est pas tout à fait comme les autres puisqu’il est composé de 25 personnes et s’apparente plus dans sa forme à une fanfare. Jusque là tout va bien. C’est ensuite que ça se corse : bouche-à-oreilles (entre gens avertis, du milieu, hein), megabuzz, critique dithyrambiques dans The Guardian ou le NME. Que du souterrain, quoi. Et vas-y que ça s’extasie, que ça crie au meilleur groupe du monde. Résultat : le disque, on l’achète, en import (trop pressé hein, comme tout le monde en parle, difficile à dénicher*), on raque, on est content. On rentre à la maison, et il faut maintenant avoir et donner un avis. Mais comment fait-on pour avoir un avis, de manière sensible et intellectuelle, spontanée, honnête, à propos du truc le plus hype du moment ? J’avoue, j’ai du mal, beaucoup de mal : quoi penser du premier album de The Polyphonic Spree ?
A priori, c’est du tout bon : un joli raga extatique en ouverture, plein de piano, de violoncelles, de choeurs extatiques, façon oratorio du soleil. Pleins de jolies références esthétiques et mélodiques, à leurs potes Grandaddy, à Mercury Rev, à Pink Floyd. Puis, It’s the sun, une pop song magnifique qui emboîte le pas, rencontre idéale de trompettes pennylaniennes et de grandiloquence presque sérieuse. Ce n’est pas foncièrement original dans le traitement, la production est un peu chiche (ok, le disque a été enregistré en trois jours, histoire de parfaire la hype), mais ça le fait. Ca retombe malheureusement un peu vite, avec quelques ritournelles de remplissage (Days like this…, Middle of the day), un mauvais morceau (La la), une intro qui aurait pu ne pas en être une (Hanging around the day Pt.1). Il y a ensuite les frustrations : un morceau tronqué par son intro (Hanging around the day Pt.2, donc), qui s’arrête pile au moment où il devient bon, un bijou mal arrangé (Soldier girl). Il y a enfin le désenchantement, le petit moment de lucidité qui fait qu’on réécoute le disque entier avec un rictus désabusé sur les lèvres. Sur les dix morceaux, on comptabilise une intro, une outro, et une longue diarrhée de remplissage (A Long day, effectivement). Et puis on se rend compte qui si certaines mélodies sont vraiment vrille-têtes, les compositions elles-mêmes souffrent de leur simplicité extrême, sans folie, sans variations ; le songwriting tourne vite au gimmick, et les chansons restent trop souvent à l’état de boucles. Il y a l’arnaque, enfin, du groupe-fanfare. Si, sur scène, il paraît que The Polyphonic Spree a des allures de cirque Barnum (avec animaux, acrobaties et tutti quanti), on cherche désespérément, sur disque, où les 25 gus de la pochette (excellente) ont bien pu se cacher. On entend surtout le leader-chanteur Tim DeLaughter, qu’on imagine volontiers en gourou carnassier.
Bon, je l’avoue, je suis un peu dur. Peut être, justement, parce que le buzz m’énerve. Peut être pas. Bref. Qu’on soit ennemi ou partisan, on est tout victimes et bourreau, passeurs de hype. Obligés d’avoir un avis, de l’exprimer, de rejoindre un camp. De communiquer une opinion faite de bric et de brocs de lucidité, d’excitation passagère et de mauvaise foi. Repassez dans un an, je vous dirai ce que je pense de ce disque.
* le disque sortira officiellement en France au printemps, via Warner