Dès la pochette, on se dit que ce disque ne sera pas tout à fait comme les autres. La dernière fois qu’un LP de rap nous avait fait le coup de la cover « Sgt. Pepper’s » (et là, au cinquième rang, troisième à partir de la gauche, tu sais qui c’est ?), c’était Midnight marauders de A Tribe Called Quest, c’est dire ; quant au nouveau look de Lonnie Rashied Lynn aka Common, on aura reconnu la barbe touffue et le crâne chauve de Moïse noir de l’Issac Hayes 70’s ; si l’on ajoute à cela que Jimi Hendrix a droit à un strapontin en bas à gauche de la pochette, et à une chanson à l’intérieur (Jimi was a rock star, enregistrée -évidemment- à l’Electric Lady Studio), on comprendra que Common ne craint pas pour son nouvel album de se mesurer aux légendes de la Great Black Music, en toute modestie. Surtout que, pour Electric circus, Common est non seulement allé chercher ses influences dans ces années 1970 electro-jazz fréquentées par les enfants de Miles Davis (Herbie Hancock, Weather Report, Billy Cobham…), mais aussi du côté des volutes multicolores du psychédélisme, un territoire assez peu exploré par le hip-hop jusqu’à présent.
Dès le début, le décor est planté : claviers aériens, percussions étouffées, au loin les choeurs atmosphériques de Zap Mama, on se croirait presque dans une intro de Moodymann ; mais, 2 minutes 30 plus tard, un vigoureux coup de scratch nous rappelle que le rap est d’abord une musique faite pour danser, ce que la boucle synthétique de Soul power parvient très correctement à faire. La première vraie surprise vient entre le deuxième et le troisième morceau, avec cet interlude de percussions mouillées à la Madlib en guise d’intro à Aquarius (difficile de trouver plus Peace & Love comme titre) qui, avec ses nappes mélancoliques, s’avère en fait plus pencher vers Carl Craig ou -une fois qu’on y a ajouté son solo de guitare- vers Manuel Göttsching. Et puisqu’on en est dans les références incongrues pour un LP de hip-hop, on dira que le titre suivant, le saturé Electric wire hustler flower, ressemble plus ou moins à un titre d’Organized Konfusion joué par Vanilla Fudge.
Le disque oscille ensuite entre ces trois pôles : dérives laid-back sur fond néo-jazz funk (qu’on aura le droit de trouver un peu trop paresseuses -et prétentieuses- pour être honnêtes, même signées par les Neptunes, dont le Come close vaut surtout par Mary J Blige), hip-hop décalé lorgnant vers l’acid-rock et variations electro néo-krautrock (parfois dans le même morceau). Le résultat est souvent surprenant : New wave, avec Laetitia Sadier, commence comme du Iron Butterfly, puis alterne ses boucles 100 % NY avec un chorus stereolabien pour donner un morceau réellement entêtant ; Between me, You & liberation, avec Cee-Lo, poursuit dans les chemins de traverse qu’explorait déjà avec bonheur le récent album solo du leader de Goodie MOB (l’un des authentiques trésors cachés de l’année passée) ; I am music organise la rencontre du fox-trot et du hip-hop (le résultat ? ça sonne comme du Paris Combo ; le son de 2003 n’est sans doute pas là) ; Jimi was a rock star grime Common en une sorte de Lonnie Liston Smith vaudou, au bras de sa chère Erikah Badu.
Mais l’exercice sent un peu trop la pose pour entièrement convaincre : on sent que Common sait exactement ce qu’il fait, et c’est un peu le problème. Lorsque Norman Whitfield baladait la musique noire entre les astres, il inventait un son nouveau, il ne faisait pas un exercice de style : vu du Nuage n°9, le psychédélisme de Common paraît de fait un peu scolaire, et ses prêches sentent davantage la chaire du professeur que la chaleur de la communauté rassemblée. Ce qui, cependant, n’enlève rien au fait que cet album contient beaucoup plus de choses neuves et intéressantes que, mettons, le dernier De La Soul. Qui n’était pas si mauvais.