Bonne nouvelle, Warp est encore capable d’excentricité. Le label emblème de l’electronica britannique, en outre toujours défricheur et curieux, a semble-t-il aujourd’hui tout à prouver, en assurant autant S.A.V. pour fans d’IDM obsessionnels (repêchant Richard Devine et rééditant à tour de bras Boards of Canada et Aphex Twin) que pérennité des inclinations pieds-de-nez un peu foireuses (Warp a toujours été un label indie pop, voyons !), mais il sait encore s’amuser. En cédant par exemple aux caprices du grand Russell Haswell, malade mental du boucan et des autodafés physiques, du black metal et des galeries tendance repeintes couleur bière/vomi. On sait le mancunien grand ami des sieurs d’Autechre, on l’a souvent entendu aux côtés d’Aphex Twin pour quelques séances de torture à base de bruit blanc et de papier de verre. On a adoré le regarder, stoïque, battre des records d’audiométrie en corrigeant ses vieilleries eurodance façon apocalypse. Alors on est content, pour une fois, de voir du pur copinage aboutir à une vraie absurdité discographique, un disque de harsh noise sur Warp.
Attention, pas n’importe quel harsh noise. Haswell a été cherché le top du top pour l’accompagner, à savoir son inventeur Masami Akita, qu’on imagine tout content d’ajouter Warp à la très très longue liste de labels à avoir sorti du Merzbow. La collaboration des deux compères comiques (il faut les avoir vu regarder dans le vide au moins une fois pour comprendre de quoi on parle), sous pseudo Satanstornade, avait débuté sur le label MP3 Falsch (affilié à Mego) et documentait en version lo-fi un live enregistré à RoughTrade London. On a ici droit à une version hi-fi (magnifiquement masterisée) d’une session à The Abbey, à Londres.
Soit 40 minutes et quatre plages pour explorer les mille et une facettes de la noise, musique à part entière, que les deux moitiés de Satanstornade connaissent parfaitement pour la pratiquer à plein temps dans leur carrière artistique. Quelques boucles instrumentales imprécises émergent de boules de feu de bruit blanc et de nuages de distorsion en suspension histoire de donner un aspect post-moderne et/ou humoristique (plages 2 et 4) à une musique sinon très abstraite. De courts instants esbroufe DSP rappellent que la noise se joue maintenant sur laptop, mais dans l’ensemble, ça reste brut de décoffrage, les variations étant opérées par quelques savants jeux de filtre (le harsh noise est, contrairement aux idées reçues, un arte povera du geste, où la retenue a bien plus son rôle à jouer que le défoulement). Enfin, le tout est emballé avec ce qu’il faut de décalage et d’humour, de la photo de pochette (la vitrine d’une armurerie japonaise) aux titres (Testicular fortitude, Track 5 pour le morceau 3, etc.) en passant par les clins d’oeil black metal (la référence du disque est WAP666…). Bref, pas forcément un classique ultime du harsh noise, mais un excellent cru, à se procurer impérativement. Au moins pour soutenir Warp dans un pétage de plombs qu’on n’espérait plus. Le dernier, peut être, avant embourgeoisement définitif.