Cas unique, en Europe du moins, l’Espagne s’est fait une spécialité d’entretenir un cinéma de genre au sein duquel on peut aisément tracer une ligne de partage. D’une part, une approche du genre candide et surtout délestée de tout complexe vis-à-vis de la notion d’auteur (La Source jaune de Miguel Santesmases). D’autre part, une cohorte largement majoritaire de jeunes cinéastes naïfs versés dans les sciences occultes, adeptes de thrillers spécieux où se mêlent Dieu, le diable, les réalités parallèles, l’ésotérisme roublard, la quête hasardeuse d’un arrière-monde labyrinthique où l’on aime à se perdre (en vrac : Alex de la Iglesia, Mateo Gil, voire Alejandro Amenábar). Juan Carlos Fresnadillo, dont ce Intacto est la première réalisation, se place d’emblée dans cette seconde catégorie.
Le film s’ouvre sur un plan nocturne sur une île des Canaries au paysage tellement lunaire que l’on se prend à rêver, pour quelques minutes, d’un film trouvant le moyen de débuter pour de bon sur la Lune. Hélas, Intacto se passe sur la terre ferme : Tomas, un jeune voleur, rescapé miraculeux d’un crash aérien, est approché par un étrange individu qui lui propose d’utiliser son capital chance (visiblement important) pour s’enrichir. Il pénètre alors un monde de paris clandestins où les lots ne s’évaluent pas seulement en termes monétaires, mais aussi humains, puisque le capital chance de n’importe quel quidam peut se monnayer. La chance est un bien que l’on peut perdre ou récupérer et même se faire voler par des élus capables de porter la poisse à quiconque les touche.
Contrairement à Night Shyamalan et son miraculeux Incassable (voire, à la limite, Etat second de Peter Weir), Fresnadillo choisit dans un premier temps de traiter le versant ludique du thème du survivant. Les scènes de paris entre veinards (courir dans une forêt poings liés et yeux bandés, s’enduire la tête de mélasse et prier pour qu’une grosse sauterelle l’élise comme aéroport, etc.) sont presque réjouissantes. C’est lorsque le film s’aventure vers une métaphysique fumeuse dans laquelle il se complaît en affectant un sérieux et une solennité de circonstance -le duel final face au dieu des veinards, Max Von Sydow, rescapé des camps et supposé invincible- qu’il révèle sa profonde futilité. On en revient à la démarcation initiale, entre un cinéma candide et un autre mâtiné de mystique pompeuse, séduisant parfois, stérile le plus souvent.