Avec Touch, on estampillerait un tel album « ambient » (avec une belle photo paysagère de Jon Wozencroft). Avec ~Scape, on parlerait de « digi-dub » (pochette minimale et monochrome). Avec Kranky, allez savoir pourquoi, on appelle cela du « space-rock » (pochette avec lavis bleu). Il faut dire qu’il y a un peu de tout cela dans l’aquatique Submers, le deuxième album du Canadien Scott Morgan aka Loscil (prononcer « Loss Kill »). Pendant son écoute peuvent ainsi venir à l’esprit tant les noms d’Oren Ambarchi, Rafael Toral que ceux de Pole, Deadbeat, Pan American ou Stars Of The Lid (tous signés sur Touch, ~Scape ou Kranky). C’est dire que l’originalité n’est pas la première qualité de cet album.
Après un premier disque basé sur la thermodynamique (Triple point), Loscil récidive donc avec un nouveau concept fumeux : chaque morceau de Submers porte le nom d’un sous-marin (Diable Marin, Le Plongeur… et même, il fallait oser, le Kursk !), histoire de faire comprendre que l’album cherche à évoquer tant la claustration que d’inquiétants paysages marins. Ce faisant, cet argument prothétique vient non seulement conditionner l’écoute du disque mais s’avère, qui plus est, artificiel puisque la musique de Scott Morgan possède déjà des qualités sonores (tonalité froide, réverbérations, nappes liquides, pulsations dub étouffantes à faire péter les caissons de basse) et cinétiques (lenteur, répétitivité des motifs) propres à expédier n’importe quel auditeur imaginatif par 1000 mètres de fond. Il n’empêche que, excepté cette maladroite littéralité des titres, Loscil a composé à l’aide de samplers et de claviers un album hypnagogique véritablement splendide, où on serait bien en peine de trouver la petite faille. Les puissantes nappes de sons, loin de suinter la vulgarité (comme chez M83, au hasard), s’y agencent selon des courbes et des boucles élégantes en phase avec des pulsations vibrantes à la Jan Jelinek. En dépit du mauvais goût du texte qui accompagne le morceau de clôture, le métallique Kursk (un requiem en hommage à son équipage disparu, sic) finit de nous écraser sous une montagne d’eau, avec un drone tranchant et ahurissant. Inutile de préciser qu’aux profondeurs où nous emmène Loscil, il fait nuit et froid, mais surtout, on finit par atteindre l’ivresse.
Changement de décor avec les ex-Jessamine de Fontanelle (Rex Ritter à la guitare et Andy Brown au clavier, rejoints par trois lascars aux claviers et batterie). Aujourd’hui basé à Portland, le combo américain a puisé dans le Herbie Hancock période Sextant pour créer un deuxième album de musique fusionnelle, Style drift, qui zig-zappe entre jazz funk, maquillage electro, sans jamais se départir d’élucubrations post rock : à l’écoute de ces sept morceaux, on peut ainsi imaginer ce qu’auraient donné les Do Make Say Think de 1998 reprenant Bitches brew de Miles Davis. S’il est ici question de fuzz, de wah wah, de basse glougloutante et d’orgues électriques pleins la marmite (un peu comme un Chicago Underground Quartet taille XXL qui aurait perdu son souffle et sa tonicité), il est aussi question d' »improvisation ». Et c’est sur ce point que Style drift laisse plutôt sceptique. Le terme paraît en effet excessif si, par « improvisation », il faut entendre de timides pianotages tournant en boucle (et à vide) et ne parvenant que trop rarement à créer un espace, une synergie entre les musiciens. Il est donc regrettable que ces derniers affichent autant de frilosité à s’exposer davantage. Car Style drift, même propulsé par un groove et des lignes mélodiques imparables, tourne vite à un exercice de style peu convaincant.