Imaginons un seul instant que Rareware n’ait pas quitté Nintendo pour rejoindre l’écurie Microsoft. Que StarFox adventures ne soit que le premier essai d’une longue série de bombes dont le studio briton peut avoir le secret. On peut alors se demander, à tort ou à raison, si le jeu n’aurait pas été accueilli plus… fraîchement par l’Internationale des testeurs. Drapé dans son aura testamentaire, StarFox échappe à toute analyse critique. On toucherait presque au Sacré, après tout, on se voit mal cracher à un enterrement.
Pourtant StarFox est un jeu malade. Malade de ses contradictions et de ses incohérences. Il pourrait presque jouer les fers de lance d’une stratégie plus ou moins consciente de Nintendo de déboulonner ses propres idoles. A l’instar d’un Mario évacué du lancement de la console, et réduit à l’ingrat rôle de technicien de surface dans Sunshine. Ou encore d’un Link martyrisé par le cel-shading, ou d’une Samus dont la plastique cybernétique irréprochable serait sacrifiée sur l’autel de la vision subjective. Dans Dinosaur planet, le vaillant Fox McLoud, lui, se fait quasiment castrer : il perd son arme fétiche -un blaster-, et le rôle de son vaisseau préféré, l’Arwing, est réduit à une peau de chagrin. Armé d’un bâton magique improbable dont il n’est même pas le propriétaire, Fox débarque dans un univers dans lequel il n’a pas vraiment sa place. Une planète tribalo-écolo, habitée par des dinosaures et des mammouths, menacée par un généralissime colonialiste, et à l’incohérence paradoxalement académique. Monde de glace, de feu, à la fois bucolique et SF, sans oublier les inévitables mines souterraines et autres plages tropicales, la planète des dinosaures n’a aucune identité propre autre que celle d’enfiler les poncifs du genre. Malgré tout le charisme dont il peut faire preuve, Fox McLoud semble arriver comme un cheveu sur la soupe, comme s’il voulait piquer le travail de Link, le héros de Zelda. Evidemment, il se débrouille moins bien que le petit elfe aux habits verts, et parfois, on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de retourner direct dans les étoiles shooter de l’astéroïde et des navettes spatiales.
StarFox adventures est donc quasiment un jeu qui n’aurait pas lieu d’être, ce qui pourrait facilement passer pour un lourd handicap. Mais si on évacue son improbabilité intrinsèque, si on oublie les annonces ouvertement mensongères sur la durée de vie -une vingtaine d’heures effective, on est loin des 80-100 heures promises-, le dernier jeu de Rare sur console Nintendo peut trouver une place de choix dans la logithèque malingre du GameCube. D’abord, c’est beau. Un classicisme élégant, une indiscutable maîtrise de hardware, StarFox est sans conteste le plus beau jeu de l’année, sans faute de goût notable si on ne prête pas d’oreille attentive aux musiques genre Deep Forest. On peut considérer cet aspect purement technique et esthétique comme secondaire, mais force est de constater qu’il participe énormément à l’adhésion, à l’immersion et à l’addiction ressenties. Ce sens du détail quasi amoureux, qui n’oublie ni les variations climatiques, ni l’alternance jour/nuit, cette architecture des niveaux, à mi-chemin entre Jak & Daxter et Ratchet & Clank, confèrent à Starfox un charme indéniable. On peut donc honnêtement faire l’impasse sur un gameplay éprouvé « Zelda-light », une trop grande facilité et une durée de vie médiocre qui l’orientent fatalement vers une optique « grand public ». Beaucoup moins mythique que prévu, le jeu est un tour de force technique et la démonstration d’un certain savoir-faire de l’association Rare/Nintendo. Ca n’en fait pas forcément un jeu culte, mais un produit hybride, à la fois très curieux et trop classique, hyper-nippon et « so-british » -les dinos parlent comme des lords anglais-, petit par le gameplay, grand par la technique. Ce serait dommage de s’en passer.