L’été dernier sortait sur quelques écrans Ma caméra et moi de Chistophe Loizillon, autobiographie d’un vidéaste amateur, où la caméra était à la fois l’instrument et le sujet du film. Ma vraie vie à Rouen, prenant pour prétexte la prolifération des caméras DV, repose sur le même genre de dispositif, avec l’idée (reçue ?) que la simplicité et l’amateurisme de l’équipement ouvre la voie d’un nouveau genre de fiction. Ma vraie vie à Rouen se présente comme un bout à bout de moments filmés par Etienne, lycéen rouennais féru de patinage artistique. Il vit seul avec sa mère, Caroline. Depuis qu’elle lui a offert sa caméra, il ne cesse de filmer ceux qui l’entourent, sa « vraie vie » : ses cours de patinage, Laurent, son prof d’histoire qu’il verrait bien comme son beau-père, ou encore Ludovic, pote de lycée dont il suit de près les premières expériences sexuelles.
Le procédé est contraignant : il implique que la fiction (la chronique adolescente et la découverte progressive par Etienne de son homosexualité) justifie la démarche documentaire d’Etienne, lui donne une bonne raison d’avoir allumé sa caméra avant chaque scène. Jacques Martineau et Olivier Ducastel se sont beaucoup compliqué la vie (et celle de leur héros) pour un apport assez maigre à leur histoire : le coup de la « caméra amateur », du personnage-filmeur n’est ni original ni bénéfique pour le sens du film. La manière dont Etienne s’empare sans prévenir de sa caméra est en réalité très stratégique et concertée, sert toujours l’avancée de l’histoire, son désir de filmer est trop plié aux exigences du scénario. Lequel n’est pas mauvais, d’ailleurs, car les thèmes du film sont en place et bien développés : la relation trouble d’Etienne à Ludovic, sa progressive compréhension de ses désirs, l’envie de voir sa mère refaire sa vie, l’angoisse de la chute, du déséquilibre, bien illustrée par le patinage, etc. Mais le rapport à l’image d’Etienne n’est pas traité : on ne comprend à aucun moment pourquoi ce jeune patineur artistique s’entiche à ce point de sa caméra et décide de représenter sa vie avec tant d’assiduité. Chaque instant du film semble reposer sur ce présupposé, ce qui enlève une grande part de crédibilité au personnage et aux situations. D’autant que les réalisateurs ont pris le parti très attendu de la peudo-spontanéité que permet la DV : regards face-caméra, naturel des acteurs pris sur le « vif », donnant au bout du compte une impression d’artificialité, de fabriqué. C’est le principal paradoxe de Ma vraie vie à Rouen : les réalisateurs ont soumis la mise en scène à un procédé bien trop visible et systématique pour capter la « vraie vie », et la technologie numérique s’avère presque une erreur, un hors sujet. Pourtant, dans la dernière demi-heure, l’émotion est présente, les personnages sont vrais et subtils. On entrevoit, la simplicité recherchée, de quel apprentissage on nous parle, mais c’est un peu tard. Tant pis pour la « vraie vie », on aurait préféré un vrai film.