On pourra dire ce qu’on veut, que c’est un thème en vogue, que Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, La Nouvelle Eve ou A vendre sont déjà passés par là récemment. On cherche à nous faire envisager la femme hors du couple, hors des images sociales qui nous empêchent de la voir vraiment, de comprendre ses égarements, ses contradictions et à l’occasion sa solitude. Y a-t-il vraiment un drame de la femme moderne ? Une Femme d’extérieur ne prétend pas répondre à cette question dangereusement généralisante, qui semble pourtant obséder toute une partie du cinéma français clairement orientée vers la critique de mœurs.
Premier long métrage de Christophe Blanc, ce portrait de femme en crise est d’abord l’observation minutieuse d’un lent et douloureux processus de métamorphose. Françoise (Agnès Jaoui), 35 ans, est infirmière dans la région lyonnaise. Elle découvre, à l’occasion d’un week-end chez des amis que Jacques (Serge Riaboukine), le père de ses trois enfants, a une liaison avec une jeune fille. Ils décident de se séparer après quinze ans de vie commune. Françoise, au début du film, est tout sauf une « femme d’extérieur ». Mais pour surmonter sa détresse et sa colère, elle décide de sortir la nuit, à l’aventure. C’est un monde inconnu qui s’offre à elle, la plupart du temps sordide, mais qui réserve quelques rencontres : une aide-soignante, une collègue jusqu’ici ignorée, devient sa confidente. Un boxeur victorieux la prend pour une groupie, et elle se laisse emmener à l’hôtel. Françoise ne travaille plus, s’occupe de moins en moins de ses enfants. Pour mieux cadrer avec sa nouvelle vie, elle s’habille comme une vamp, ce qui n’est pas pour plaire à son fils aîné, forcé de s’occuper de ses deux petites sœurs.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : Une Femme d’extérieur ne porte aucun diagnostic psychologique. Le récit épouse les phases que traverse son héroïne, se plie à la complexité de ses émotions, de ses réactions. La justesse du trait, parfois très grande, ne l’emporte jamais sur les contradictions des désirs et des sentiments de Françoise. C’est le portrait d’une femme d’intérieur, soudain démunie, qui s’extériorise, cherchant une alternative à un effondrement affectif, quitte à se perdre de vue dans cette fuite en avant. Par le sens aigu de la disjonction, du décalage violent -et parfois drôle-, on pense à Cassavetes. Mais l’apparente déperdition morale de Françoise, l’impuissance de Jacques qui tente mollement de sauver les meubles (même au sens propre) masquent aussi une progression secrète vers la guérison et l’indépendance.
Agnès Jaoui comme Serge Riaboukine sont tous deux pénétrés par la vérité de leur personnage. Sans emphase ni effets faciles, leur jeu parvient à restituer magnifiquement l’hésitation des attitudes, les faux-fuyants ou les moments d’émotion vraie qui constituent la tension des rapports d’un couple devenu « impossible » malgré l’attachement. Peu de discours, ici, sur les images sociales, sur la féminité, sur la famille : Une Femme d’extérieur est un film adulte, une épure sensible qui évite d’être trop cérébrale. Comme le trajet de Françoise, il est parfois sinueux et difficile, mais il en vaut la peine.