Mou, Lips ! Mou, Lips ! Mou, Lips ! Quelle belle écholalie ! On ne se lasserait pas de répéter ces deux petits mots incongrûment mis côte à côte, qu’une simple respiration syntaxique sépare. Virgulée, la diphtongue « ou », tendre comme du caramel… mou (que l’on prononcera avec les lèvres allongées du marmot qui fait la… moue), rebondit sur un bref mais pétulant « lips », flanqué d’un point d’exclamation qui intime l’ordre de faire claquer plus nettement encore la langue sur le palais. Mou, Lips ! Retournez ces mots dans votre tête et vous verrez combien de saveurs sucrées et de couleurs pétaradantes contenues dans ce nom s’échappent de l’enfance pour remonter jusqu’à vous comme des bulles de savons. Pensez à « enfance » et apparaîtront peut-être sous vos yeux un paquet de cacahuètes, des coquillages ramassés sur la plage ou des cahiers de géométrie tachés de chocolat. Cacahuètes, coquillages et géométrie…
Peanuts and shells geometria, c’est évidemment le nom que les Italiens de Mou, Lips !, ont donné à leur premier album. Emanuela de Angelis et Andrea Gabriele n’en sont pourtant pas à leurs débuts. Andrea était membre du trio électronique tu m’ (dont le site de MP3s, tu M’p3, est constitué d’une impressionnante base d’inédits d’artistes comme Aero, KK Null, Akira Rabelais ou Frank Metzger), tandis qu’Emanuela, outre de brèves apparitions chez tu m’, jouait dans Joyce Whore Not. Avant leur signature sur List (Sonig peut se mordre les doigts de ne pas les avoir découvert), les Mou, Lips ! avaient déjà sonorisé quelques vidéos, installations et mis à disposition de MP3s de leur crue.
Privilégiant les vignettes musicales aux longues plages étales, Peanuts and shells geometria est minutieusement bâti sur huit paysages sonores, aux enchâssements complexes, qui échappent à tout excès mélodique ou facilité de composition. Dense, la texture sonore a fait l’objet d’un travail soigné et se présente, au moment où paraît Mani de Dorine_Muraille, comme un nouvel hybride réussi entre traitement de sons synthétiques et organiques. Guitares et contrebasse retraitées se répondent ainsi, parfois interrompues par des éclats de rires, des bribes de paroles, des sifflements, des airs fredonnés.
En guise d’ouverture, Peanuts and shells geometria déroule une mélodie cabossée, brinquebalée au gré d’un sentier de clicks. Trop pop pour être du Oval, on penserait plutôt à du Lithops (moitié de Mouse On Mars) dans ses oeuvres circa 1994 (éditées chez Moikai). Des brisures de guitares tournent comme sur une rotative grippée sur Ai’s pureness. Des « surfaces vibrantes » crépitent sur SRI>Zawore 5:28 PM (Xavier Charles a également fait de superbes morceaux à l’aide cet « instrument ») ; une spirale de craquements, belle comme du Janek Schaefer, s’enroule autour de la traîne de sa résonance sur Sounding table in Vaticano (Corsair CBN 43041) : les voies empruntées par Mou, Lips ! sont nombreuses et pleinement assurées. Trop assurées ? Il faut entendre Emanuela poser sur un fil sa voix vocodorisée (Plie, plie as you said « it’s all in honestly ») ou l’écouter sur Letter (from home) enregistrant le son de son écriture (un geste musical d’une saisissante beauté sur scène) pour se convaincre que la musique des Mou, Lips ! déborde avant tout de pudeur et surtout de retenue.
Peanuts and shells geometria s’inscrit dans cette famille de musiques qui ont fait le choix de pulvériser le rythme en poussières de sons : les click-beats. Parfois, les éléments rythmiques perdent ainsi leur autonomie pour se tapir dans les plis de l’enveloppe sonore et faire vrombir les nappes mélodiques. Redistribution des rôles entre rythme et son : les fréquences deviennent pulsations, le rythme mélodie. Correspondance des avant-gardes ? En un autre temps, cette brèche dans le langage musical avait été explorée par… le free jazz. Mou, Lips ! Mou, Lips !…