Depuis quelqu’un temps, Patrice Leconte débarque chaque année avec un film sous le bras, tantôt au printemps, tantôt à l’automne (comme les marrons), parfois les deux. Dans son sac à malices, le réalisateur a accumulé tant de perles inutiles ces derniers temps (de l’ambiance choucroute de Félix et Lola à la promo sur le calendos de Rue des plaisirs) qu’on le croyait définitivement rangé au grenier de la médiocrité. Pour tout dire, on allait voir son dernier opus avec la certitude acquise que, quoi qu’il arrive, Les Bronzés resterait ce qu’il a fait de mieux. Pourtant, L’Homme du train constitue une véritable surprise. Non pas en raison de ses qualités propres, personnelles -il en a peu- mais à cause de ce curieux numéro d’équilibriste boiteux exécuté par le cinéaste : cette manière de surfer, coûte que coûte, sur le creux de la vague, d’atteindre une certaine vitesse de croisière dans son aller-retour permanent entre le n’importe quoi et le pas grand-chose, lui permet de capter l’essence du film de 90 minutes.
Comme Rue des plaisirs (Leconte avouait avoir engagé Laetitia Casta parce qu’il la trouvait bien à la télé…), L’Homme du train est motivé par une idée de casting, plus excitante celle-là : la rencontre entre Hallyday et Rochefort. Le premier est un braqueur en pré-retraite, il débarque dans un trou perdu pour un hold-up provincial ; il aime les rapaces (il s’appelle Milan et son biceps sec est orné d’un aigle), c’est un dur, un aventurier. Le second est un professeur retraité, qui s’ennuie dans sa grande maison, entouré de livres et d’antiquités ; il a deux brosses à dent, au cas où l’une d’elles tomberait en panne. Entre les deux hommes intervient très vite le désir d’échanger les places : Rochefort vit sur le regret (une vie rangée, toute pépère), rêve de bagarre et s’initie au gunfight ; Johnny s’épuise, rêve de bibliothèque, rase son bouc et connaît l’extase d’une révélation mystique lorsqu’il goûte aux joies de la pantoufle molletonnée (« j’ai raté ma vie » soupire-t-il).
Certes, tout ce qui empoisonne un Leconte sur deux est assez présent dans le film : l’amour du bel ouvrage, des vieilleries, le goût pour les draperies surannées, la saveur d’un antique velours râpé, et surtout cette manie du dialogue bâti autour d’un bon mot. Mais curieusement le reste (la rencontre, la mise en scène) passe relativement bien, sans accrocs. Exit l’effet de surprise inhérent à l’effarante bêtise des précédents films, place à une fluidité, un roucoulement paisible des images lecontiennes -ici chichiteuses, là empaillées, toujours un peu creuses. Ce qu’on retiendra du film, c’est justement cette nouvelle manière de faire passer la vacuité de son cinéma : non plus par l’esbroufe bariolée, plutôt par une espèce d’harmonie molle et sans enjeu. Au fond, Leconte ne change pas, c’est son spectateur qui s’habitue à ses films. Contre mauvaise fortune, bon coeur.