Dans Extension du domaine de la lutte, le livre, Michel Houellebecq portait un regard lucide et désabusé sur ses frères humains, et apportait un témoignage capital sur l’état dépressif de notre société fin de siècle. Sans finesse mais avec un sens aigu de l’observation, l’écrivain convoquait la plupart des lieux communs où se lit la vacuité de la vie d’aujourd’hui : centre commercial, cafétéria, boîtes de nuit… Surtout, la vie dans l’entreprise était décrite avec un hyperréalisme qui menait le lecteur à la nausée. Ainsi, pour le personnage principal et un de ses collègues, tous deux cadres employés dans une entreprise d’informatique, la réussite sociale et professionnelle apparaissait comme proportionnellement inverse à leur destin sexuel : pauvre et misérable. Cette lacune sexuelle dans leur vie justifiait l’extension de la lutte que mentionne le titre du roman.
Le choix d’adapter le livre de Houellebecq est une fausse bonne idée. Il témoigne certes d’un bon flair du lecteur Harel. En revanche, il montre les limites du cinéaste-adaptateur. La force du roman tenait à un style très reconnaissable, mariant avec talent la voix amère d’un narrateur de fiction et un jugement sociologique façon essai qui donnait au livre un caractère inclassable et un charme certain. L’adaptation cinématographique échoue à retrouver ce mariage heureux et se noie dans un désir réaliste un peu vain. Il faut dire que Philippe Harel semble s’être posé le moins de questions possibles. Il s’est voué à la seule verve du romancier, optant pour une voix-off omniprésente, celle du narrateur, solution zéro pour l’homme d’image qui prend un livre comme point de départ. Le film fait un peu figure de cours de rattrapage pour ceux qui n’ont pas lu le roman de Houellebecq. Certes, le réalisateur prend soin de garder cette ligne grave et sourde qui accompagne les raisonnements et les déplacements du héros ; mais le film peine à être autre chose qu’une mise en images littérale. Seules les séquences finales apportent de l’originalité au projet d’Harel : confronté à une psychanalyste, le héros dit sa souffrance avec des mots qui viennent difficilement. Pour la première fois, on n’est plus dans le livre. On est dans le film. Mais c’est la fin.