« Je n’ai jamais vu l’enfer d’aussi près », telles sont les paroles de Werner Herzog -cinéaste pourtant réputé peu farouche- à la vision du documentaire d’Ulrich Seidl, Animal love (1995). C’est effectivement le même genre de pensée qui nous anime pendant Dog days, premier long métrage de fiction de Seidl dans lequel ce dernier poursuit son exploration horrifique de la classe moyenne autrichienne. Conçu comme un entrelacement d’histoires dont le principal point commun est de se dérouler dans la même banlieue résidentielle de Vienne, Dog days pourrait être une chronique de la vie ordinaire et c’est bien là l’aspect le plus angoissant du film. Assez proche du travail du photographe Martin Par lorsqu’il saisit les détails les plus communs et souvent les plus sordides de notre société de consommation, Ulrich Seidl épingle ses contemporains avec le calme d’un entomologiste tranquillement pervers. Pour couronner le tout, il choisit de situer l’action pendant la période estivale, durant ces fameux « dog days », époque la plus chaude de l’année. L’occasion pour le cinéaste de filmer les symptômes d’une société malade de son trop plein : chair suintant au soleil et exposant son mal être (obésité, anorexie, refus de vieillir) sans aucune retenue. Inutile de chercher un corps désirable chez Seidl pour qui l’homme n’est plus qu’une créature hybride pas très loin de la pure animalité (voir le terrifiant commando de voisins qui se défoule méthodiquement et en ordre sur l’idiote qui sert de bouc émissaire à leur frustration).
Ce qui impressionne le plus dans Dog days, c’est son absence de tout sensationnalisme et cette froideur proche du détachement avec laquelle Seidl filme ses congénères (impressionnants interprètes, dont c’est pour la plupart le premier rôle au cinéma). Une façon de garder l’horreur dans le cercle du quotidien et de ne surtout pas en faire un épisode « extra-ordinaire ». Idem dans sa mise en scène d’une fluidité que ne renierait pas un Robert Altman et qui fait s’enchaîner les événements avec l’aisance et l’imminence d’un chrono implacable. Seidl fait preuve d’un remarquable sens de la durée capable de transformer une scène en performance presque physique : le mutisme apeuré de l’adolescente face aux violences de son petit copain, la docilité de la femme mûre qui accepte toutes les humiliations par peur de perdre son amant plus jeune lors d’une soirée qui se transforme en séance de torture. Avec Dog days, catalogue presque exhaustif des petites et grandes perfidies humaines, Ulrich Seidl atteint des abymes de noirceur. Un cauchemar d’autant plus insoutenable qu’il paraît bel et bien réel.