Après une décevante tentative de bifurcation vers un cinéma indé-auteurisant (Le Poids de l’eau), retour vers le blockbuster hollywoodien pour Kathryn Bigelow. K-19 suit les péripéties d’un sous-marin maudit durant la guerre froide. Le point de vue choisi -celui de l’Union soviétique- est la seule faiblesse du film, puisqu’il ne s’agit en aucun cas ici de renverser les principes d’identification inhérents aux fictions US traitant du même sujet, mais plutôt de basculer dans une sorte de discours caricatural et pompier au possible (Harrison Ford roulant les « r » pris dans les règles d’acier d’une administration aux allures de rouleau-compresseur).
Une fois le film dégagé de cet aspect très secondaire, reste sa partie principale, plongée claustrophobe dans les entrailles d’une véritable machine à créer de la peur. La grande réussite de K-19 réside dans sa façon de traiter un genre (le film à suspense subaquatique) comme une sorte d’espace confinant à l’abstraction, dévoilant sa mécanique interne à la manière d’un programme parfaitement élaboré. Toute la première partie est une suite d’exercices et de simulations en temps réel, dont la répétition provoque un étrange effet de fascination. Puis advient un premier problème, rapidement résolu, et enfin la catastrophe : une fuite se déclare dans la chambre de refroidissement du réacteur atomique. Là commence vraiment le film : l’horreur absolue des scènes, suite d’irradiations sur les membres de l’équipage, agit comme une véritable usine aux atrocités. Autour du réacteur, épicentre du sous-marin, s’activent, vomissent et meurent une multitude de soldats anonymes. La perfection du dispositif spatial du film (la pile atomique comme pièce secrète du labyrinthe) donne à K-19 des allures de grand cirque aux épouvantes baignant dans une irréelle atmosphère de claustration et d’enfouissement. Le vrai sujet du film, plus que l’héroïsme de ses victimes sacrificielles, est leur solitude profonde, cette tension qui s’installe entre grandeur et petitesse de tout acte militaire : d’un côté le courage d’une poignée de combattants de l’ombre, de l’autre une mécanique écrasante qui les condamne au secret et à l’anonymat définitif (le fait sera caché jusqu’à l’aube des années 90).
Comme John Woo dans le récent Windtalkers, Bigelow transforme un blockbuster guerrier en une fine et touchante broderie de rapports humains. L’action réduite à sa plus simple expression (le sacrifice), aidée par l’immense talent de la cinéaste à filmer le moindre pas décisif comme une tragédie (Ford descendant dans la pièce maudite), fait de K-19 une oeuvre à la fois singulière et terriblement éprouvante, dans la tradition d’une efficacité walshienne et simultanément dans ses marges, aux limites d’un basculement terminal. Soit le spectacle hollywoodien de la guerre retourné comme un gant, qui subitement révulse et terrifie.