D’une rentrée littéraire à l’autre, cet homme-là ne chôme pas. Quelques mois à peine après une Inversion de l’idiotie divertissante et de peu de conséquence, David Foenkinos s’installe Entre les oreilles et, sous les auspices de Vincent Van Gogh (qui ne s’y connaissait pas qu’un peu), propose deux cents nouvelles pages de facéties où, de gags réussis en laborieuses broderies, on trouvera à boire et à manger. Scénario ? Linéaire, paresseux, parfois hilarant. Ambiance ? Survoltée, légèrement potache, ici ou là digne d’un Tex Avery. Style ? En dents de scie, recto relâché, verso inspiré. De l’importance d’être inconstant : Foenkinos balade son lecteur sur toute la gamme des sentiments, de la franche réjouissance (des paragraphes qu’on entourerait presque pour les relire) à l’indifférence ennuyée (des pages qu’on tourne avec impatience en se demandant s’il est bien utile de continuer), pour laisser au final l’impression d’un petit cartoon bourré d’autant d’énergie que de plans bâclés, éminemment sympathique et immédiatement oublié. Entre prologue et épilogue (car tout le monde a deux oreilles -sauf, donc, Vincent Van Gogh), notre farceur a casé neuf « mailles » : des mailles plutôt que des chapitres, car la mère du narrateur tricote des tabliers pour les habitants de son immeuble. Pas banal, se dit-on : il faut dire que Foenkinos fait des efforts pour que rien ne le soit.
Son héros, 40 ans et 3 600 F dépensés chaque mois chez un psy (lequel s’appelle Bernard, « le Bernard le plus cher de l’histoire des Bernard »), travaille dans une banque où tous les employés s’appellent Jacques. Pas banal, se répète-t-on. Ses aventures commencent lorsque, en goguette sur le boulevard Beaumarchais, il tombe en pâmoison devant les jambes d’un anonyme. « Rien que les jambes. Ma vision était une découpe des jambes d’un inconnu. Des jambes ridicules et, pourtant, si chères déjà à mon coeur. » Leur propriétaire s’appelle Jacob et exerce la profession de « chauffeur de chauffeurs de taxi » : il s’en fera un ami et connaîtra en sa compagnie les plus invraisemblables tribulations. Pas banal, conclut-on –bis repetita placent. La patte Foenkinos n’a décidément pas changé : de l’imagination à revendre, des inventions primables au Lépine (un timbré qui harcèle Jacob en lui sautant dessus dans la rue avant de disparaître, la gloire fanée d’une chanteuse oubliée nommée Bouzouki, une fiole de sueur d’allemand, on en passe), des petites phrases diablement bien tournées (« Jacob s’était mis sur son trente et un : c’était un grand chiffre pour un petit homme »), un capital sympathie de champion de judo. Son problème, hélas, reste entier : un peu désemparé au moment de faire tenir tout cela ensemble, il se contente d’aligner ses idées les unes après les autres dans un récit construit au petit bonheur la chance, en se disant vaguement qu’une invraisemblance de plus lui permettra bien de retomber sur ses pattes. Catalogue d’incongruités foutraque, enfilade d’absurdités dont certaines valent bien le détour, Entre les oreilles tient plus de la Grosse émission que des pavés de Tom Sharpe, du JTN que de la NRF. Paradoxal. Tant qu’on ne joue pas à la grande littérature, on peut aussi le prendre comme un compliment.