Les albums de Snoop (Doggy) Dogg ont tous partagé cette même caractéristique : celle d’être décevants, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons (Doggystyle a pâti de devoir succéder à The Chronic, là où Da game is to be told or to be sold fut juste une merde). Ce qui démontre incidemment toute la force du mythe Snoop, dont la figure de Scoobidoo humain au sourire envapé de chronic a modelé l’imaginaire des 90’s comme les oscillations du cul gracile de Jagger fascinèrent les 70’s rock. Et même, on a fini par ne plus retenir de ces albums invariablement médiocres que le flow languide et les manières de gangsta en caoutchouc du Dogg, en oubliant la mollesse de leurs beats au kilomètre : c’était à peine de la musique, plutôt des disques de genre tout entiers dédiés à la célébration de leur héros cartoonesque, l’équivalent musical des comédies blaxploito-kung-fu de Jim Kelly.
Sauf que depuis son dernier LP, l’honorable Tha Last meal, Calvin Broadus a (enfin) pris de l’épaisseur. Il traîne maintenant sa silhouette dégingandée dans d’honnêtes films de série B, dirige un label et une marque de fringues, tout en étant comblé d’honneurs par l’industrie du X après le succès international de son DVD soft-porn Doggystyle : en quelques mois, Snoop est ainsi passé de statut de cameo de luxe dans les projets des autres à celui de maître de cérémonie à part entière. Paid tha cost to be da boss est la confirmation de cette mutation.
Le fait que ce disque ne contienne aucun morceau signé Dre est sans doute le meilleur signe de ce désir nouveau du Dogg d’être maître chez lui. Et la première surprise est que ça fonctionne plutôt bien : ça lui aura pris 10 ans, mais Snoop est enfin capable de bien choisir ses producteurs. L’affiche n’est pas très originale mais elle est suffisante pour faire ressembler ce disque à un vrai disque de rap : on y entend de quoi faire hocher les têtes (From tha chuuuch to da palace et Beautiful, productions syndicales des Neptunes, le joyeusement syncopé From long beach 2 brick city avec Redman, et l’excellent Lollipop avec Jaÿ-Z, où Just Blaze démontre que son sac à beats est encore loin d’être épuisé, malgré l’imposant Blueprint² qu’il vient de produire pour son rapper attitré), une reprise honorable de Paid in full, déguisé en Paper’d up, et les inévitables plages R&B, qui trouvent même à surprendre avec une étonnante résurrection des Dramatics en featuring sur Ballin’.
Il y a même des productions signées Primo et Hi-Tek. Sauf que, à tout prendre, on aurait préféré qu’ils n’y en aient pas. Du moins, pas ces morceaux-là. On passera très vite sur les deux titres de Hi-Tek, inintéressantes traînées de guimauve qu’on a déjà oubliées. Quant aux deux titres de Primo, on dira juste que manifestement Snoop a reçu la boîte de Dj Premier qu’il avait commandée pour Noël et que, en conséquence, lui aussi a pu avoir son morceau de Dj Premier sur son LP (The One and only), avec ses scratches, ses samples, son loop funk, comme en vrai ! Et avec les bouts qui restaient il a même fait une reprise du Batman theme sans intérêt (mais avec The Lady of Rage, qu’on est toujours content de réentendre).
L’humeur générale du disque est nettement plus apaisée que par le passé. C’est que le Snoop d’aujourd’hui n’est plus ce dealer d’herbe à la petite semaine toujours à la merci d’un drive-by shooting, mais (nous dit-il) un Parrain qui donne ses ordres depuis la Dogghouse et n’aime rien tant que passer en revue son cheptel de hoes (les fans de proxénétisme funky trouveront ici largement de quoi satisfaire leur malsaine passion) et étaler son statut de millionnaire à longueur de rimes. Bientôt Snoop nous lira sa feuille d’impôt en imitant Slick Rick ; et le pire c’est qu’on en redemandera. Surtout parce que, quand Snoop délaisse l’égo-trippin’ G, c’est pour s’essayer au romantisme gangsta (pas question pour lui d’abandonner les bitch !, même dans une chanson d’amour), ce qui ne marche pas très bien (on s’en serait douté).
Reste que pour le disque d’un interprète, il est impressionnant de constater à quel point on l’entend finalement peu. Il n’est sans doute pas très loin le jour où les disques de Snoop Dogg contiendront tout sauf la voix de Snoop Dogg. Mais cela serait-il vraiment surprenant de la part d’un artiste qui a grandi sous l’ombre menaçante de Suge Knight, qui n’a jamais su jouer que des poings mais dont le nom s’étalait en gros sur les pochettes Death Row ?