Voici donc enfin le premier album de Non-Phixion. L’un des groupes fétiches des amateurs de pur son hardcore new-yorkais, le posse d’Ill Bill, Goretex, Sabac Red et Dj Eclipse se sera fait attendre plus de deux ans, le temps de quitter Matador (label d’indie-rock qui abrita notamment Pizzicato Five et Jon Spencer) pour rejoindre LandSpeed Records, autre label d’indie-rock à s’être découvert récemment un goût pour le hip-hop. C’est donc un peu incrédules que l’on pose sur sa platine ce disque tellement différé qu’il était en passe de rejoindre les premiers albums de RA The Rugged Man et de Large Professor sur notre étagère virtuelle des LPs jamais publiés.
Le disque commence par Futurama, et immédiatement on retrouve nos lascars égaux à eux- mêmes, pousses malsaines de la cité-monde sur l’Hudson déboulant tout de noir vêtus micro en main pour proférer leurs théories conspirationnistes glanées dans les oeuvres complètes de Fox « Spooky » Mulder. Machinations gouvernementales, hélicoptères noirs, sectes démentes, là où en ricanant leur pote Necro découpe le monde à la tronçonneuse pour le violer ensuite, les Non-Phixion préfèrent le faire exploser façon nihilistes russes, sans se soucier des éclaboussures et des taches de cervelle sur leurs sweat-shirts BROOKLYN. Ni d’ailleurs des cendre de Ground Zero : ces morceaux, pour une large partie, ont été écrits à une époque où le scepticisme paranoïaque contre le gouvernement US était encore la chose la mieux partagée de l’Amérique, du scénariste hollywoodien au rapper new-yorkais ; et si depuis les gros bataillons US se sont rangés derrière la bannière étoilée tendue par George W., les Non-Phixion, eux, n’ont pas changé : The CIA is still trying to kill me lance Ill Bill sur les guitares baveuses de Fear Factory dans une reprise par ailleurs relativement anodine de son semi-classique The CIA is trying to kill me (également présent ici dans son imparable version originale). Mais ce qui, jusqu’au 11-Septembre, n’était qu’un gimmick très connoté 90s (The Truth is out there, Trust no one) est tout à coup devenu une posture nettement moins mainstream, le marché de la conspiration ayant depuis été investi par des charlatans moins pop-culture que Chris Carter (cf. le risible Meyssan). Dans le genre, on aura le droit de préférer The Coup.
Quant aux beats, la sauce n’a pas non plus changé en deux ans, ce qui, pour le coup, nous va plutôt bien : le quatuor, drivé le plus souvent par leur homie Necro (grand habitué de ces colonnes), continue de poser sur ce son abrasif et syncopé qui fait depuis dix ans l’identité de la Big Apple hip-hop (celle qui ne fait pas bling-bling). L’album se paie même le luxe d’être une sorte de all-stars des producteurs majeurs de la décennie passée dans le genre : Pete Rock avec un honnête If you got love, Premier sur le très Gangstarrien Rock stars, Large Professor avec deux titres efficaces (It’s us et We are the future) et les Beatnuts, qu’on a connus mieux inspirés (Suicide bomb). Ne manquent guère qu’Evil Dee et RZA pour que la famille soit au grand complet. On gardera pour la bonne bouche notre black bastard préféré, MF Doom, qui s’invite sur le très sci-fi Strange universe. « Same ol’ shit », donc. Mais qui s’en plaindra ?