Le cas du compositeur et metteur en son Dominique Petitgand est des plus atypique. Iconoclaste, libre, résolument inclassable, le français construit petit à petit et sans aucune restriction de style, sans aucun attachement à une quelconque scène, une oeuvre à fleur de peau, expérimentale et sentimentale, cérébrale et absolument charnelle. De disque-objet en installation, de performance improvisée en pièce sonore composée, cela va faire dix ans que Petitgand écume les musiques expérimentales la bouche en coeur et s’acharne à les faire respirer avec le souffle de la vie. En auditeur-témoin attentif, il vole à la réalité ses matériaux sonores, qu’il provoque, enregistre, puis sélectionne, partitionne et redistribue comme d’autres composent avec notes et instruments, avec la grâce toute personnelle d’un chansonnier. Son art fébrile s’attache autant aux mots des vrais acteurs qu’il questionne ou laisse se questionner qu’aux environnements qui les voient accoucher. Musique concrète ? Documents sonores ? Musique minimaliste ? Folk ? Un peu de tout ça à la fois, mais pas tout à fait, voire quelque chose de complètement autre, comme un ailleurs sans attache. En tout cas, une création de tous les instants, autant dans le travail de recherche des matériaux, savamment mis en scène (façon Flaherty) ou complètement fortuits (façon Frederic Wiseman), que dans sa très impressionniste organisation.
L’artiste explique : « Participant d’une même méthode, ces paroles et ces sons ont été enregistrés lors de différentes séances de travail et d’écoute (se situant entre la direction d’acteur et l’improvisation); faire tourner celle ou celui qui s’exprime autour d’une phrase, d’une amorce de récit, de la description d’un comportement, d’un état, d’un fait, (passés, présents, proches ou lointains); cultiver la paraphrase, la répétition involontaire, pour les matériaux musicaux aussi, déplier et rendre obsessionnel la recherche et l’énonciation de quelque chose, un son, une texture, un geste, une allure (une approche non-instrumentale, sans codes). Et puis l’étape du montage, de la composition des pièces : la découpe, le choix et la ponctuation des fragments, des gestes vocaux et musicaux, distillés et polis, la fabrication d’une architecture sonore, d’une dramaturgie orale et bruitée, d’une tension, de ruptures, de silences. »
Ainsi, sur ce Point de côté si souvent bouleversant, on entend des souffles, des entre-mots, des hésitations qui parlent tellement ; on entend aussi des vrais mots, des bouts d’énoncés hachés jusqu’à l’abstraction, jusqu’à ce qu’ils disent autre choses (tel ce magnifique Au ventre de cinq secondes, où un « J’ai mal au ventre » anodin devient si singulier une fois isolé sur son piédestal musical; ou les « liens invisibles » de A portée de main, quelques mots épars qui caressent un drone romantique de fausse réalité). On entend aussi quelques voix amies, venues susurrer une petite ritournelle ou parler un peu (Dominique A), jouer de la guitare (Marc Sens), du soufflet (Yann Tiersen), devenir matériau à leur tour, disparaître dans ces minuscules odyssées de sons, d’images, de réalité-fiction. Balayant tous les doutes quant au problème de la représentation du réel et des ready-made fictifs de la musique environnemental, Petitgand lui vole ses plus belles ambiguïtés (ces moments où l’on ne sait plus si être soi-même n’est pas la plus grande des comédies) et le trahit avec la délectation d’un passionné gourmet. Le Point de côté est la magnifique réalisation d’un artiste atypique et remarquable.