L’américain Scott Herren est très productif, et aime bien brouiller les pistes. Son projet le plus connu, l’hybride hip-hop Prefuse 73, est aussi le plus récent. On connaît un peu moins Savath+Savalas, qui fait la part belle aux vrais instruments (voir l’album Folk songs for trains, trees and honey, sorti sur Hefty puis réédité sur Warp), et beaucoup moins Delarosa & Asora, autrefois dédié à l’ambiant, puis devenu machine electonica de très haute volée (cf. le magnifique Agony Pt.1, sur Schematic). Mais s’il multiplie les projets et aime donner à chacun d’entre eux des orientations spécifiques, il faut bien avouer également que tous se ressemblent beaucoup. Si le garçon est en effet très talentueux, il n’en a pas moins de sérieux tics esthétiques et de composition. Cet été sortent quasiment en même temps trois formats courts de ses trois différents projets : l’occasion de voir si les choses se sont un peu clarifiées en ce qui concerne les attributs respectifs des trois identités de l’américain.
Crush The Sight-Seers est une réédition CD d’un maxi de 1999, qui rassemble quatre déconstructions/reconstructions du groupe ambiant The Sight-Seers. Quatre exercices supérieurs dans lesquels on retrouve tout ce qui fait la singularité de l’electronica de D&A : rythmiques cliquetantes et aériennes, mélodies érodées et ritournelles sourdes, basses pop et pernicieuses. Une recette qui aurait un peu tendance à tourner à la formule, mais quand la popotte est de cette qualité, on en redemande : le magnifique Airbrush, avec sa voix lo-fi et ses ambiance space-rock détournées justifie à lui tout seul la réédition de ce disque antérieur à l’arrivé d’Herren sur Schematic.
Savath+Savalas est le projet le plus musicalement correct d’Herren, celui dans lequel il laisse aller ses plus sombres orientations de musicien virtuose. C’est donc aussi son projet le plus problématique : malgré des idées de production et de composition souvent passionnantes, les inclinations acid-jazzy des mélodies sont une pilule qui a parfois du mal à passer. Rolls & waves of ignorance, qui ouvre le EP, est un périlleux exercice de jazz romantique, qui s’étale comme une tâche de gras un peu insipide. Heureusement, le bleepy et funky Paths in soft focus, avec ses roulements de batterie oniriques et ses effets de manche laptop, est un très convaincant essai de muzak moderne et classieux. Folk song for Cello allie pizzicati de violoncelle, ambiant ample, rythmes R&B claquants et glissandi aquatiques. Joli. Decatur queen est une grâce uptempo presque rock, très caractéristique. Si le disque est donc assez réussi, on ne note rien de vraiment nouveau depuis Folk songs for trains, trees and hone, mis à part une production plus ambitieuse, plus organique… Mais les poncifs demeurent.
Enfin, The 92 vs. 02 collection est une petite extension sympathique et estivale du premier album de Prefuse 73. Boucles hip-hop démoniaques, petites cloches tintinnabulantes et microsamples de hoquetements de rap, on est en terrain connu. Les quatre morceaux sont laid-back, soulful et plein de résonances ambiant, nettement moins rentre-dedans que l’ensemble de Vocal studies & uprock narratives. Quelques breaks rythmiques mis à part, voilà une ramification de plus d’un tronc commun qu’on commence à connaître presque par coeur… Résultat des courses : trois bons disques, mais toujours aussi indissociables… et pas de révolution à l’horizon.. Gageons que cette dernière viendra en long format.