En quelques années, les artistes de la scène électronique de Cologne (Schlammpeitziger, Mouse on Mars…) ont eu le temps d’écrire et de partager leur hagiographie de (Ha)ns (J)ürgen (Sch)unk. Désigné comme l’un des principaux inspirateurs de « l’école de Cologne », l’influence de ce musicien discret ne s’est pas tant mesurée à l’aune de ses (rares) disques que par son rôle de catalyseur pour des labels aujourd’hui incontournables comme A-Musik ou Sonig. A l’orée des années 90, Hajsch se trouve en effet au coeur de deux projets séminaux pour cette scène encore en gestation : avec Carsten Schulz, Monika Westphal, Frank Dommert, Marcus Schmickler et Georg Odijk, il fonde le groupe d’improvisation Kontakta (en référence à Stockhausen ?) en même temps qu’il assiste à la création du label Erfolg (les mêmes moins Westphal). Or, ce sont ces deux entités qui vont présider à la naissance du label de Odijk (A-Musik en 1995-96) et de Mouse on Mars (Sonig en 1997). En 1992, Hajsch publie par ailleurs deux LP sur son label Quiet Artworks : Nagual et Akasa/Für Cleo (avec Monika Westphal) mais sous le nom de PFN. L’accueil est chaleureux, les propositions de collaborations se multiplient, mais le musicien préfère se retirer du devant de la scène pour se consacrer à des projets de radio et de production sur son autre label (Urthona). Il réapparaît à nouveau en 1997 avec un remix remarqué de Microstoria avec l’aide de son vieil acolyte C-Schulz (Reprovisers, Mille Plateaux). Trois ans de travail et, en 2000, il signe sur Sonig son premier véritable album éponyme en duo avec C-Schulz : un chef-d’oeuvre définitif aux marges de la musique concrète, des manipulations électroniques et de l’instrumentation acoustique. De manière logique, c’est Sonig qui réédite aujourd’hui, sous le nom de 1992, le recueil de cinq instrumentaux remasterisés issus des deux vinyles de Hajsch originellement sortis sur Quiet Artworks.
Composé avec Monika Westphal (field recordings et sons concrets), Akasa peut revendiquer avec le temps son statut de grand classique : aisance d’exécution, structure incongrue s’y conjuguent avec un lyrisme revendiqué. Ouvert par un bourdonnement ondulant, déchiré par des sons étranges de guitare (Wabi Sabi de Marcus Schmickler n’en est pas éloigné), le morceau, plutôt que d’enfler sous des nappes de sons, se rétracte au contraire progressivement dans l’obscurité. Et c’est du fond du puits de silence qu’il s’est creusé qu’Akasa tend alors pendant dix minutes, d’abord à la limite de l’audible puis avec la douceur d’un chuchotement, une tige vacillante de violon, de violoncelle et de clarinette, que vient ponctuer un bourdon cacochyme. Plus industrielles, les trois plages de Nagual (guitare, sampler, melodica, synthé, bicyclette, field recordings et sons concrets) ne déméritent pas. Ses stridences métalliques en feraient une bande son possible pour Le Silence de Bergman (dont Hajsch est un admirateur). En clôture et beaucoup plus apaisé, Für Cleo laisse entendre un drone vibratile de guitare lancé dans le vide sur lequel vient se poser une voix de saxophone languissante qui finit par expirer seule.
Retour poli d’ascenseur entre artistes de deux générations (Sonig sortant les disques de Schunk) ? Hajsch grand manitou silencieux de la scène électronique de Cologne (au détriment d’autres acteurs aussi essentiels que Schmickler, Odijk, Schulz, Westphal…) et sur les absences duquel on pourrait aujourd’hui babiller (silence = sagesse = profondeur = … équivalences bien connues) ? Peu importe. Le fait est que 1992 est un disque précieux et contemplatif duquel l’auditeur ressort engourdi par le silence et réveillé par le bruit de la vie. Comme quoi, le silence d’une personne n’est jamais que parole à retardement ; le silence d’une musique, bruit à retardement.