Xavier (Romain Duris), étudiant en économie, se lance dans le programme d’échange Erasmus qui doit lui permettre de partir un an en Espagne, dans le but de décrocher un job au Ministère des finances. Venu à bout des laborieuses formalités administratives, il quitte son ex-soixante-huitarde de mère et Martine (Audrey Tautou), sa copine, pour débarquer à Barcelone sans connaître personne. Il finit par intégrer une petite communauté d’étudiants venus des quatre coins de l’Europe, qui se partagent un appartement exigu…
Cédric Klapisch revient ici au ferment de ses premiers films. Comme Riens du tout, et Le Péril jeune, L’Auberge espagnole est le portrait en coupe d’un groupe, de sa formation à sa désintégration. Mais ici, un parcours individuel se détache nettement : c’est celui d’un sympathique étudiant BCBG, brusquement privé de repères et qui les reconstitue peu à peu, au sein de « l’auberge espagnole ». La question essentielle du film est celle de l’identité de Xavier, la capitalisation d’une expérience : il ne deviendra lui-même qu’au contact des autres, devra se défaire dans la douleur d’un avenir tout tracé, tant sur le plan amoureux que professionnel.
Klapisch n’ignore pas le vague et la fragilité de son sujet : c’est le tour de force de L’Auberge espagnole de fonctionner uniquement sur ses innombrables trouvailles pour rendre ce parcours intéressant, vibrant, émouvant même, dans ses écarts les plus anodins. Passé quelques fastidieux sermons sur l’Europe (qui font craindre le pire, mais un peu de patience), Klapisch réussit la prouesse de nous intéresser à tous ses personnages, imposant leur diversité, dynamitant les clichés en nous donnant l’impression grisante, et tellement réelle, que tout est possible. D’Anne-Sophie (Judith Godrèche), bourgeoise mal-mariée qu’il parvient à décoincer, à Isabelle, la jeune lesbienne qui le tuyaute sur le plaisir féminin, à l’Anglaise Wendy qui impose au groupe son petit frère gaffeur à l’humour très Michel Leeb : chacun à son tour a le bon et le mauvais rôle, mais Klapisch conserve envers tous une distance équitable. Il ne tente jamais d’asservir ses personnages à un propos, ni même à une histoire.
Chacun, ici, raconte la sienne, l’invente par ses humeurs, désirs, joies, tentations ou regrets. Le film reste à l’écoute d’une vérité changeante, versatile, jamais théorisée. Tout fonctionne dans une apparente anarchie, avec quelques vraies réussites (l’euphorie d’une sortie de boîte, en images surimposées) et certaines tentatives moins fructueuses, mais pardonnables, vu l’inventivité constante qui règne. Tout en restant au plus près du quotidien de l’auberge, de la réalité matérielle et affective de ces étudiants exilés, Klapisch entraîne son film dans l’expérimentation avec une modestie et une désinvolture exemplaires. Mélange subtil de naïveté et de sophistication, L’Auberge espagnole est une réussite improbable, qui tout en faisant étal de ses trouvailles, tient secret son fonctionnement.