Thelma est d’abord le récit d’une cavale amoureuse sans véritable objet. Vincent Fleury, taxi largué, rencontre une mystérieuse femme fatale qui l’embarque en Crête pour une importante somme d’argent. Sur ce plan, le film est plutôt raté : réalisation figée, demi-mesure pataude, intrigue anorexique. Mais Thelma est aussi le récit d’une étrange inversion : Thelma, après un tiers de film, se révèle être un homme, transsexuel dont on découvrira l’identité au cours d’une séquence-trauma assez saisissante (la surprise du héros face à la frontalité du nu). Sur ce plan, le film est plutôt réussi : trouble diffus, malaise envoûtant, mystérieux sentiment de l’effacement des frontières du désir et de la révulsion.
Tout le problème posé par le film se trouve dans l’ambiguïté de ce parti-pris. L’idée n’est exploitée qu’en surface, à la manière d’un gadget narratif. Elle permet de faire surgir un trouble naturel mais finalement tout à fait gratuit : jamais ce privilège (de trouble, de tension ou de drame) donné par l’effet d’inversion n’enclenche le scénario dans son mouvement. Le film patine rapidement, ressemblant peu à peu à un simple documentaire sur l’hétérosexualité (va-t-il craquer, s’abîmer dans une passion remettant tous ses principes en cause ?) dont l’absence de propos dérange très vite.
La dernière partie de Thelma enfonce le clou : « tout le monde il est gentil et respectable », mais chacun repart dans son coin. Voilà donc l’exemple type de film dont tout l’intérêt se résume à poser de grandes questions en prenant bien soin de ne pas se laisser entraîner dans les failles qu’elles ouvrent. Dommage, car l’on sent chez Pierre-Alain Meier un véritable amour de ses personnages, une sorte de goût du vertige n’osant pas s’assumer. La part de fascination comprise dans Thelma offre un très beau début de trouble, une promesse non tenue, l’impression simplement que le courage a manqué. L’accroche du film (« qu’a-t-elle de plus que les autres ? ») est à l’image de son propos : une bonne esbroufe, un joli tour de passe-passe tournant très vite au vinaigre.