Uncut aurait déclaré, à propos d’Amon Tobin, que « son subtil génie lui donne à jamais un train d’avance sur celui qui l’écoute, et le place à des années lumières de ses contemporains ». Si vous rencontrez un jour le musicien brésilien, désormais résident montréalais, vous découvrirez d’abord un jeune homme timide, fumant beaucoup de spliffs, parlant peu et avec difficulté de son travail. Très loin de la statue qu’on lui a érigé, à côté de Mingus et Morricone, après un album sous le nom de Cujo (Adventures in foam) et ses trois classiques de jazz-drumn’n’bass (Bricolage, Permutation, Supermodified).
Amon Tobin est une sorte d’OVNI de la scène électronique mondiale, creusant obsessionnellement son sillon futuriste, son style fragmenté et pugnace, en éternel autiste enfumé du sample. Sa musique illustrerait à merveille un remake 2002 de Blade runner : breakbeats urbains, références multi-ethniques, pop-culture et chamanisme du dance-floor. Parfois, on croirait entendre des navettes spatiales en 3D décoller. Avec Out from out where, Amon Tobin poursuit les recherches rythmiques fractales qui avaient rendu son dernier album si singulier, mais délaisse quelque peu la culture jazz qui distinguait ses précédents opus. Beats lourds, basses funk et samples de cordes se mélangent harmonieusement ou de manière psychédélique en une sorte de musique orchestrale post-millénaire. El wraith, avec sa mélodie de cordes lointaines, ressemble à la B.O. d’un vieux film hollywoodien, passé dans une machine à avancer dans le temps. L’intro de Triple science fait très GRM, avant de virer bassement techno. Prooper hoodidge cale une petite mélodie orientale lancinante sur un froid beat electro. Par sa fausse simplicité, c’est un des meilleurs titres de l’album.
Malgré la richesse et la complexité de ses compositions, Amon Tobin est cependant plus proche parfois du défunt big-beat que des nouveautés electronica. La forclusion culturelle de Amon Tobin le fait peut-être passer à côté des dernières recherches en musique électroniques (le laptop, le sound-art), et sa musique, si elle est une vision du futur, reste ancrée, quant à ses moyens, dans le XXe siècle (drum’n’bass et techno). C’est pourquoi on ne trouve qu’un intérêt limité à l’écoute de ce nouvel album. Si on est toujours soufflé par la maestria technique du programmateur, on a toujours l’impression d’avoir déjà entendu cet album. Même si quelques points d’orgues surnagent (Prooper hoodidge, donc) au milieu de cette luxuriance rétro-futuriste. Comme disait l’autre : « Le talent fait ce qu’il veut, le génie fait ce qu’il peut ».