On se souviendra longtemps des apparitions d’Etienne Charry dans le groupe immature Oui-Oui. En écoutant Les Cailloux, Ma maison ou en visionnant le clip sphérique de La Ville, on rêvait voir Oui Oui jouer dans les stades et les gens crier son nom. On a même imaginé un usurpateur méchant s’essayant au glam-rock satanique sous le nom de Non Non, pour contrecarrer les modestes ambitions de Oui Oui, groupe évidemment gentil. Oui Oui défunt, Michel Gondry se mit à clipper Björk et Etienne Charry partit habiter à la campagne.
Après un premier album solo intrigant et touchant, sorti en 1999 et intitulé 36 erreurs, où Etienne Charry composait de brics et de brocs ses miniatures automates, dansantes et pas idiotes, le voici de nouveau à l’oeuvre sur Aube radieuse, serpents en flammes, titre solaire et à rallonge, évoquant l’équivoque dualité d’un disque chaud-froid, clair-obscur, et pourtant jamais tiède ni gris, mais débordant des vies multiples et colorées de Charry. Celui-ci, adepte d’alternance et de pensées en colimaçons, travaille pour réfléchir « le bruit des enregistrements et le renvoyer vers le haut, plutôt que de le renvoyer vers le bas où se trouvent les populations ». Aube radieuse… dès lors, n’a rien du disque populaire et consensuel des stars-académiciens pullulant et polluant ces jours-ci l’esprit d’entreprise artistique. Mais c’est un disque ambitieux, qui complique l’écoute mais force l’admiration.
Evoquant Captain Beefheart, Walter Carlos, The Residents, Ennio Morricone ou François de Roubaix, stratifié en milliers de feuillets mélodiques, à la manière d’un Good vibrations épileptique, Aube radieuse pourrait être l’équivalent musical de ce qu’on appelle pour le cinématographe un « film-cerveau », soit la mise en forme du compliqué réseau que constitue l’inconscient d’un homme, le sus-nommé Charry, ou celui de tout un chacun. Car l’inconscient est à tout le monde, n’est-il pas ? Dès lors, à chacun de s’y retrouver, entre guitares rythmées, pianotements fous, cigales du matin, stéréophonie malade, bruits de patinoire, banjos guillerets, claviers mineurs, grandes cheminées, choeurs lointains, changements de tonalités, cieux de velours, violons au milieu, breaks sur le côté, bandes inversées, rivières de diamants et surf music, le tout cutté, assemblé, monté dans le désordre, comme un Lego sans ego, comme un test de Rorsach multicolore, un jeu d’association d’idées qui jamais n’abolira le hasard. On sort de cette écoute remonté comme une pendule, les sens exacerbés par l’intensité et le foisonnement de ces « idées téléguidées ». Et en se disant que l’inconscient n’est peut-être pas en bas, au fond, dans le coeur ou caché dans un lointain recoin du cerveau, mais bien en haut, au dessus, dehors, à l’air libre.
Sur le livret de ce disque, on lira écrites en blanc les paroles des chansons qu’on entend, et en rouge les paroles des chansons qu’on n’entend pas. Car Etienne Charry a préféré retirer au mixage certains passages chantés. Ca sonnait mieux ainsi. Tout est à l’avenant dans ce disque inspiré et exigeant : le visible côtoie l’invisible, le dit le non dit, le son l’inouï, l’intérieur l’extérieur, le haut le bas, l’universel le singulier. Et si on est d’abord rebuté par les serpents en flammes, nos efforts seront plus tard récompensés par une aube radieuse. C’est sûr.