C’est à la veille du 20e siècle, le 31 décembre 1899, que Pupi Avati -qui compte parmi les grands représentants du cinéma italien depuis près de quarante ans- a choisi de situer la merveilleuse fresque familiale qu’il nous offre dans Le Témoin du marié. A travers les frictions qui opposent violemment les membres d’une famille bourgeoise d’un petit village d’Émilie-Romagne, le cinéaste illustre avec une dextérité et une légèreté peu commune le déclin d’une époque et la naissance de l’ère nouvelle qui s’affirmera au cours de notre siècle. Le personnage qui incarne cette lutte violente entre la soumission aux valeurs traditionnelles et le désir farouche de s’affirmer et de suivre sa propre voie est la belle Francesca, merveilleusement interprétée par Ines Sastre. La jeune fille est en effet sur le point d’épouser le respectable et odieux Edgardo, dont la fortune est sensée sauver sa famille de la lente ruine vers laquelle elle tend depuis de nombreuses années. Francesca, qui ignore tout de l’amour, sait toutefois qu’elle exècre cet homme et ne pourra jamais avoir la moindre attirance pour lui -ce que son père ne veut évidemment point entendre parler. Tout bascule au cours de la cérémonie nuptiale quand elle rencontre le regard mélancolique du témoin de son futur époux, Angelo, lequel est à peine débarqué des États-Unis après un exil de 15 ans. La jeune fille bouleversée comprend en cet instant que la passion n’existe pas que dans les romans à l’eau de rose et décide, pour échapper à la détresse dans laquelle la plonge les minutes décisives qu’elle est en train de vivre, de s’unir pour la vie avec cet inconnu : et c’est en le regardant fixement qu’elle prononce le « oui » fatidique. Les événements qui s’ensuivent ne seront que l’accomplissement du pacte qu’elle vient de passer secrètement avec elle même devant l’autel : elle interdit de façon très ostentatoire à son mari de la toucher et révèle ses sentiments à Angelo, lequel vit depuis son départ en Amérique dans le souvenir d’une autre. Après une longue journée de festivités, alors que les douze coups de minuit s’apprêtent à sonner, Francesca renverse tous les sacro-saints principes de la respectabilité bourgeoise en avouant publiquement son amour adultère.
Tout le secret de Pupi Avati dans la peinture des tumultueux sentiments de cette jeune fille est dans sa retenue : loin se complaire à décrire scandales et pitoyables élans passionnels, tous les sentiments, toutes les détresses et les craintes des différents protagonistes s’expriment à travers des regards, des expressions. On ne peut d’ailleurs qu’applaudir l’ensemble des acteurs de ce film : jamais ils ne sortent de leur rôle et participent ainsi pleinement à la crédibilité de l’ensemble. Enfin, le savoir-faire artistique de Pupi Avati n’est pas sans participer à la beauté générale de l’œuvre : les jeux de lumière comme les couleurs presque sous exposées nous propulsent dans un univers que le modernisme a dorénavant totalement anéanti.
Et alors que nous nous préparons à entrer dans le troisième millénaire, ce très honorable film nous rappelle que les angoisses personnelles qui s’expriment autour de nous sont sans aucun doute à prendre davantage au sérieux que les hypothétiques et superstitieuses angoisses de fin de siècle dont on nous serine déjà.
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