Bauchklang est composé de six musiciens viennois qui enregistrent toutes leurs compositions avec leurs cordes vocales pour seuls instruments. Un peu à la manière du Saïan Supa Crew, à cette différence près que Bauchklang ferait de la pop quand le Saïan fait du hip-hop. Et effectivement, hormis quelques titres d’inspiration hip-hop, Jamzero est un album varié de musique populaire moderne, avec des chansons couplet-refrain. Mais toutes les rythmiques (grosses caisses, caisses claires, charley, oeufs, cymbales…) sont produites avec la bouche. Et l’intérêt du disque réside bien dans ce travail sur le rythme, avec le spectre infini des possibilités que permet la simple voix humaine (assistée par un preneur de son précis, un logiciel de montage puissant, et quelques effets simples : delays, échos, reverbs). Sur 15 titres, Bauchklang imite ainsi toutes les sonorités percussives possibles et imaginables, ainsi que différents instruments (des basses, des instruments à vent).
Passée la première admiration devant l’exploit réalisé (« Mais comment font-ils ? »), l’écoute de Jamzero s’avère hélas finalement décevante. Car derrière cette forme inédite, le fond musical que le groupe propose n’a rien de vraiment original. Une fois qu’on se met à écouter ce disque comme une proposition musicale, de la même manière que ses confrères des bacs des magasins, après avoir fait abstraction de son processus de création, les mélodies se révèlent peu marquantes, et la musicalité de l’ensemble, pauvre. Entre world-music et groove mainstream, Bauchklang propose au final des gimmicks musicaux assez communs (un peu de beat-boxes, des rythmiques house assez basiques, des basses répétitives). L’inventivité et l’innovation qu’on a attribué au groupe est vraisemblablement un leurre, un semblant de crédibilité underground. Au mieux on pourrait les rapprocher de Moby (sur Baby come on par exemple), pour le mélange qu’ils opèrent entre modernité et primitivisme (le beat et le choeur), mais au pire ils ressemblent à Sting (pas Police, Sting), avec qui le chanteur lead de Bauchklang a pour point commun une tonalité de voix étonnamment semblable (la seule reprise de l’album est d’ailleurs Roxanne de Police). Comme Sting, Bauchklang melting-potte toutes les musiques populaires du monde pour leur enlever à chacune leurs singularités.
Le caractère « expérimental » de ce projet se limite donc à la sage reproduction d’une musique commerciale et universelle, mais avec la bouche. Pendant l’interview, le groupe brandissait le sésame « musique électronique » mais sans avoir jamais entendu parler de Aphex Twin ou Autechre… On regrettera donc la montée en épingle par les médias d’un groupe qui ne démérite pas évidemment (certains titres sont agréables à écouter), mais qui n’a pas le caractère innovant qu’on lui a attribué. Quoiqu’on en dise, le temps n’est pas encore venu où les moyens ont remplacé les fins (sauf à Hollywood, mais ça c’est une autre histoire…).