Une « merveilleuse orgie sonore », pour reprendre les termes de Laurent Goddet, auteur des notes de pochette de la première édition française de ce disque, au milieu des années 70 : à lire les témoignages de ceux qui assistèrent, jusqu’aux petites heures (4h du matin, exactement), à ce concert au festival de Montreux 71 dans le cadre d’une soirée spéciale consacrée au label Flying Dutchman (à laquelle participa le big band d’Oliver Nelson), l’événement fut marquant. Et l’on est tout à fait disposés à les croire, vu le feu qui semble jaillir de ces quatre morceaux saisissants dans lesquels le compagnon de route de Don Cherry et défricheur précoce des sentiers de la New Thing pousse son jeu à un point de beauté et de force inouïs.
La magie de ce concert est d’autant plus remarquable qu’elle doit, pour beaucoup, au hasard et à une heureuse conjonction d’individualités : seuls l’inévitable pianiste Lonnie Liston Smith et Nana Vasconcelos (percussions) ayant suivi Barbieri dans son déplacement européen, celui-ci dut faire appel à Bernard Purdie (batterie) et Chuck Rainey (basse électrique), arrivés à Montreux avec la chanteuse Aretha Franklin. La cohérence et l’homogénéité de cette formation inédite ne fait pourtant aucun doute, et permettent au saxophoniste argentin, sur des rythmiques aux frontières du jazz funk, de littéralement déchirer la nuit. Le cri se fait primal, l’énergie vitale, l’air électrique et la chaleur incandescente : une véritable fête, en somme, dont on sort abasourdi et légèrement désorienté. Les seules dix minutes du Brasil de Benedicto Lacerda sont une expérience en soi. On trouvera enfin, en complément des quatre plages du concert, un inédit de mai 1972 enregistré en studio sous la houlette de l’arrangeur Oliver Nelson (avec Ron Carter, Bernard Purdie, Airto Moreira, Hank Jones, David Spinozza…), sas de décompression nécessaire et bienvenu avant la redescente sur terre.