Réalisé par un obscur tâcheron cathodique, Les Percutés vaut-il plus que son air de sous-polar dégénéré, d’excroissance pathologique d’un téléfilm de France 3 pris de brutales convulsions, qui ferait passer un épisode de Julie Lescaut pour le nouveau Oliveira ? Oui et non. Non, parce qu’il s’agit bien d’une croûte informe ; oui, parce que, pour les mêmes raisons, il s’avère immédiatement précieux tant il confine à l’étrangeté la plus radicale et la plus imprévue. Même le navetophile le plus acharné sera dérouté et devra rendre les armes devant ce qui ressemble bien à une variation sous les gunfights du légendaire T’aime de Patrick Sébastien, voire, pour les plus érudits, un héritier du mythique Margouillat de Jean-Michel Gibard.
Très énervé, comme pressé d’en finir pour rejoindre on ne sait quelle constellation imaginaire, le film débute avec un hold-up, sanglant et improvisé, exécuté par une bande de flics déguisés en militaires sudistes (sic). Braillarde et mal polie (le côté « répliques cultes »), la bande de malfrats se réfugie dans un hôpital psychiatrique bientôt transformé en place forte assiégée par d’autres policiers, commandés par le commissaire des Taxis de Besson. Une fois planté le décor, s’ensuit plus d’une heure d’un aberrant petit théâtre mongolo-ésotérico-balistique, où l’enjeu initial (le hold-up du héros révolté frappé d’interdit bancaire), s’éclipse très vite au profit d’une impérieuse foire au n’importe quoi et, surtout, d’une mystique dévoyée bien connue des habitués des œuvres de Jean-Marc Barr, Patrick Sébastien et autres Zabou Breitman.
En effet, dès lors que les flics/gangsters s’intègrent à la communauté des dingos jusqu’à s’y fondre, le film se métamorphose en manifeste pro-lobotomie, puisque les décérébrés leur font découvrir les contours du monde merveilleux de l’aliénation mentale. Fascinés, puis absorbés par leur découverte, les braqueurs sudistes terminent tout naturellement leur odyssée tout près des étoiles, dans un final cosmique d’une grande pureté, où les corps, flottant entre ciel et terre, semblent hésiter quant à leur destination finale : retour au pays des hommes ou voyage intergalactique avec le Grand Créateur. La mise en scène, perforée d’images venues d’ailleurs (la brume onirique, qui fait ressembler le cortège des fous aux zombies de Romero) et de brusques accès de violence, ajoute au climat d’abrutissement généralisé sa touche maniériste, tandis qu’une soudaine et puissante chorégraphie façon Jeanne Mas, exécutée par l’héroïne accompagnée par deux jumeaux lobotomisés en chemise à carreaux au beau milieu de la cuisine, enivre l’imaginaire par sa grâce incendiaire. Mais ces coups de force paraissent presque superflus : les percutés sont déjà entrés dans la légende.