Au début des années 70, la Nikkatsu (une des plus importantes sociétés de production japonaise) en perte de vitesse lance la mode du « roman porno » pour tenter de se refaire. Tatsumi Kumashiro, un pur réalisateur de studio, se voit chargé de réaliser bon nombre de ces petites séries B au budget maigrichon. Mais son style, plus proche de la nouvelle vague que du cinéma commercial nippon, donne à ces courts récits érotiques de belles allures sauvages et irrévérencieuses. Plus encore que Désirs humides, Le Rideau de Fusuma tourné en 1973 témoigne d’un art cinématographique rebelle, inclassable et néanmoins parfaitement accompli. Ici, trois histoires (et autant de moyens d’être malheureuse pour leurs héroïnes), réunies par des fils narratifs ténus, rendent compte par leur agrégation des rapports que les geishas peuvent entretenir avec les hommes. Une première femme axe ses rapports exclusivement sur l’argent, la seconde s’abandonne au plaisir sexuel, et la troisième mise sur l’amour. Cruel, Kumashiro construit ces expériences sous forme de pièges sentimentaux qui conduisent ces pauvres geishas tout droit vers la frustration ou la souffrance. Bien entendu, le sexe préside à ces (d)ébats.
Kumashiro se laisse volontiers emporter par l’appel irrésistible des corps. Le temps et l’espace leur sont inféodés, la narration obéit plus à leurs élans pulsionnels qu’à la logique d’un récit linéaire. Dans une très belle scène d’une longueur qui épouse les soubresauts du désir, une geisha tente pendant longtemps de résister au plaisir qu’elle ressent pendant qu’elle fait l’amour avec un client. Puis, vaincue, transpirée et gémissante, elle s’abandonne et en redemande. La lutte stratégique qui domine ce rapport révèle l’état de dépendance dans lequel se trouvent ces filles-objets et les calculs auxquels se livrent les protagonistes, les uns essayant de faire plier les autres. Contrairement à Désirs humides, la douleur plane sur ces abandons. Et curieusement, l’expérience mercantile à laquelle se soumettent ces geishas se reproduit avec les interprètes elles-mêmes lorsqu’elles signent un contrat où elles acceptent de se montrer nues dans le film et de répondre aux exigences du metteur en scène. Tragique du fait de son pessimisme, Le Rideau de Fusuma marque tristement la défaite des femmes dans cette épreuve de force charnelle.
Car le pouvoir sexuel appartient in fine aux hommes. Frustration ou soumission, selon que la prostituée se ferme aux sentiments extérieurs ou qu’elle se laisser submerger par le plaisir qu’un client peut lui procurer, Kumashiro offre une vision en forme d’impasse. Le contexte historique guerrier (essentiellement masculin donc), qui encercle et finit par pénétrer cette bulle sensuelle (des vignettes figées qui évoquent des événements historiques violents scandent à intervalles réguliers le film), se charge d’anéantir toute illusion d’échappée romantique.