Suite, après une première salve mid-seventies (Expansions, carton national en 1974, Cosmic funk la même année et, enfin, Visions of a new world, publié quelques mois plus tard), de la réédition en compact des perles jazz-funk de Lonnie Liston Smith et de ses « Cosmic Echoes », explorateurs illuminés d’une voie dont Miles Davis fut, dès la fin de la décennie précédente, le premier à indiquer la direction. On connaît l’ascension fracassante de ce virginien formé à l’école Jazz Messengers (époque Art Blakey), embauché par Max Roach peu après son arrivée à New York, passant chez Rahsaan Roland Kirk avant de se réaliser complètement dans l’ensemble mystifiant du saxophoniste Pharoah Sanders, lequel emmenait alors ses disciples en fanatisme coltranien aux sommets de la notoriété ; quelques séances d’enregistrement avec le Miles des marathons obscurs de Big fun et On the corner le convertissent définitivement aux pianos électriques et à l’orgue Farfisa. Bob Thiele, producteur de John Coltrane, prend le jeune homme en main et lui ouvre les portes du label Flying pour lequel, le 24 avril 1973, il enregistre cet Astral traveling initiatique qui, loin du coup d’essai, est peut-être l’un de ses meilleurs albums.
Les gimmicks soul volontiers commerciaux et les méditations funky parfois laborieuses de certaines des plages enregistrées les années suivantes (à l’exemple de Reflections of a golden dream, en 1976, également réédité aujourd’hui) n’affadissent pas encore les surprenantes textures de ces six morceaux où, autour du saxophone velouté de George Barron, se déploient de gigantesques flux multicolores dans lesquels voisinent piano (acoustique et électrique), tablas (Badal Roy, que le leader avait rencontré chez Miles Davis), tamboura (« Badal a recommandé sa femme Geeta Vashi, parce qu’en Inde ce sont les femmes qui en jouent »), congas, cloches, carillons (Sonny Morgan et James Mtume), guitare (« Je voulais Joe [Beck] parce que je savais qu’il pouvait me donner ce que je voulais – pas un son de guitare, un son spatial ») et une section rythmique évanescente quoique bien présente : Cecil McBee (contrebasse) et David Lee Jr (batterie). Un disque aura rarement aussi bien porté son titre : un voyage astral, une excursion hallucinée dans des dimensions relaxantes, une course à pied sur un arc-en-ciel modelé par les nappes foisonnantes du piano de Lonnie Smith. Sous-tendu par une philosophie de bazar où se mêlent science-fiction douce, psychotropes et sérénité indianisante, Astral traveling rejoint l’indispensable Expansions dans notre rayon « seventies but goodies », autre galette emblématique des nouveaux mondes du jazz découverts par les voyageurs de l’époque.