On trouve assez peu de choses, en vérité, dans ce court roman de Jean-Marie Soudey, le second qu’il publie depuis Le Bonhomme de neige en 1996 dans la maison d’édition indépendante Le Serpent à Plumes. Un homme, perdu depuis la mort de sa femme, s’offre un dernier baroud avec ses enfants avant d’en finir. « Mourir comme une affirmation d’aimer », pense-t-il en substance. Il leur laissera la liberté. On suit ses derniers jours, que n’illuminent que les rires de ses enfants. Le trajet, dans une Jaguar acheté avec le produit de la vente de leur appartement : « Un panneau nous indiquait la mer à quelques kilomètres. Comment aurions-nous pu aller au-delà. » La ville est vide, hormis des regards et une maigre conversation échangés avec un vieillard, quelques forains dont on se demande bien qui ils peuvent divertir, et la jeune fille de l’hôtel qu’il prend l’habitude de retrouver le soir, au comptoir. Elle lui réinvente des vies, rejoue chaque soir une nouvelle comédie, on dirait un appel à la vie, cette fille-là, mais lui est déjà trop loin, il la regarde comme un ange de la mort, un présage nocturne. La journée, de longues ballades sur la plage avec les enfants, quelques fous rires, puisqu’il ne leur a toujours pas annoncé la nouvelle. Sur un thème plus que rabâché, la douleur de perdre l’être aimé, Soudey réussit à imprimer sa marque personnelle par une économie de moyens qui ne confine jamais à l’avarice.
Son écriture, d’une sincérité indubitable, pratique le non-dit avec élégance et dissimule par pudeur une grande partie de la déchirure de son personnage. Pourtant, elle affleure partout, indicible et intransmissible. Si le suicide du père est inéluctable et sans surprise, l’auteur a su ménager une surprise pour la fin, qui donne une autre force à son texte, presque lyrique si ce n’était l’économie de moyens d’une langue qui vise au plus juste. On pourra reprocher quelques tics de langage parfois agaçants et une certaine conformité à l’idée de littérature française, mais Jean-Marie Soudey montre un talent certain et une vraie patte d’auteur dans ce deuxième opus.
On imagine assez aisément un cinéaste adaptant ce texte, qui fait penser à Sous le sable, où François Ozon travaillait également sur l’absence, d’une manière similaire. La comparaison avec le cinéma n’est d’ailleurs pas si anodine que ça. En fait, en parcourant ce roman, on se dit qu’il est exactement l’opposé des romans de Douglas Kennedy ou David Payne dont on a eu l’occasion de dire tout le mal qu’on a pensé et dont les producteurs savent tirer d’habiles blockbusters -entertainment, quand tu nous tiens. Il y a autant de différence entre ce roman de Soudey et celui de Douglas Kennedy qu’entre Sous le sable et Romeo et Juliette version hollywoodienne. Ecole française contre école américaine ? Au pays de l’exception culturelle, et puisqu’elle n’est pas encore achevée par notre J6M national -Kennedy est publié chez Belfond, filiale de Vivendi, coïncidence amusante-, on préférera lire Soudey plutôt que Kennedy.