A l’écoute de Sticks and stones may break my bones but names will never hurt me de The No-Neck Blues Band (NNCK) et de Liberation de Jackie-O Motherfucker (JOMF), on se dit que le psychédélisme américain a encore de beaux restes. Car il est bien difficile d’ignorer les sources dans lesquelles ces deux disques puisent allégrement. Le blues d’abord : voir comment le chamanique Northern line de JOMF rappelle The Natural bridge de NNCK (de la guitare folk claudiquante au banjo gringalet, des percussions primitives aux murmures de voix). La musique indienne ensuite : pour les séquences rythmiques proches du raga, l’usage de mantras chez NNCK, du sitar chez JOMF. Le free jazz et la musique improvisée enfin : chez NNCK et JOMF, on relève la même allergie pour la notion de structure et le même goût pour les envolées de sax et de clarinette. Mais à partir de prolégomènes tout à fait voisins, NNCK et JOMF aboutissent à des résultats bien différents.
Au gré de leurs happening musicaux sur les toits et dans les parcs new-yorkais, les huit activistes de NNCK se sont forgés en une demi-douzaine d’années une mythologie qui ferait baver d’envie plus d’un groupe : disques sortis à dose homéopathique sur leur propre structure (Sound Atone), avarice de commentaires, etc. On connaît le truc… à ceci prêt que l’adoubement vint des Sonic Youth et la sainte onction de feu John Fahey (avec qui le groupe a joué en tournée et sur le label duquel ce disque, produit par l’ex-Lovin’ Spoonful Jerry Yester, a été signé). Voilà pour le côté people. Mais la musique dans tout ça ? Sticks and Stones… (présenté dans un boîtier confectionné à partir de velcro, de plexi, et d’une planche de bois pyrographiée) est composé de quatre mouvements très largement improvisés, brassant indifféremment du Amon Düül, un peu de Sun Ra, ou une pincée de Red Krayola. S’ils ne sont pas toujours exempts de longueurs, les morceaux semblent souvent tourner en roue libre, comme si plus personne n’était aux commandes. Dans la manière dont les instruments les plus variés copulent entre eux, émettent des sons « disharmonieux », changent de partenaires jusqu’à trouver la pulsation qui les fera rentrer en transe, on serait tenté de parler de fantaisie orgiaque. En donnant à voir ses morceaux dans leur chaotique nudité, en ne les enfermant dans aucun schéma implicite, NNCK montre par là-même le crédit qu’il accorde à l’aléa : de même que nombre d’ententes sont le fruit de malentendus, ici, les rencontres mélodiques sont les filles d’accidents sonores.
Bien qu’empruntant aussi la voie de l’expérimentation et de l’improvisation, les huit dérives de JOMF sont bien éloignées de la furia new-yorkaise : moins free mais plus immédiates, moins indianisantes mais plus folk. En fait, Liberation, le successeur de Fig.5, est comme électrisé par son unique dessein : la construction d’un paysage sonore dont l’idée a été vaguement réfléchie au préalable. D’où des pièces où les douze musiciens de JOMF se mettent à improviser le long de lignes harmoniques (nécessairement plus denses et riches), telles The Pigeon ou Pray qui se rapprochent de certaines plages du Trilogy: toil & peaceful life des Molasses. Ou encore Ray-o-graph (où violon, larsens de guitares et martèlements de batterie fusionnent dans une envolée assourdissante) qui rappelle les montées bruitistes de Dirty Three.