Quelques mois à peine après son ambitieuse synthèse des grandes sources de la musique européenne (Le Rêve du jongleur, mélange érudit et étrange de folklore et de chants sacrés, des pointes espagnoles aux voûtes de Canterbury, au gré de la mythique Via Francigena qui traversait l’Occident médiéval), le compositeur italien Roberto Bonati propose une longue suite composée autour de poèmes d’Attilio Bertolucci et interprétée, une nouvelle fois, par l’orchestre du ParmaJazz Frontiere. Nées d’une mise en forme presque théâtralisée (Bonati parle, dans un bref texte de présentation, d’une poésie « faite d’images, de visions ») des impressions procurées par les textes de Bertolucci, les treize parties de cette oeuvre aux parfums expressionnistes tendent, au carrefour du jazz et de la musique contemporaine, à en restituer la violence et la dimension à la fois mélancolique et dramatique.
De fait, malgré la finesse et le savoir-faire évident des arrangements écrits par le compositeur, c’est un net sentiment d’exacerbation et de paroxysme implicite que procure l’écoute de cet album aux visages divers, où la rigueur et la pondération du jeu collectif, empruntant à des traditions européennes et médiévales dont on sait combien les affectionne Bonati (notamment, ici, des fragments de chants grégoriens), côtoie la violence et l’expressivité des solistes (Marco Remondini au saxophone alto, Riccardo Luppi et Mario Arcari au soprano…) ainsi que celle, fascinante, de la voix de la chanteuse Lucia Minetti. Tentations contemporaines et horizons jazz, résolument libre comme mainstream (on retrouve avec plaisir Stefano Battaglia au piano), indiquent la double voie sous le signe duquel est placé ce projet particulièrement original et, une nouvelle fois, parfaitement abouti, dont la singularité est manifeste aussi bien à l’égard des catégories habituelles du jazz européen qu’à celles, plus spécifiquement, des rares grands ensembles vivants qu’on y peut entendre.