Passé complètement inaperçu au dernier Festival de Cannes où il concourait tout de même dans la Sélection Officielle, Le Métier des armes fait partie de ces films au langage ardu, peu propices à séduire les festivaliers crevés et gavés. Dommage donc pour le troupeau de journalistes qui quitta au printemps dernier la salle, la laissant à moitié vide lors de sa présentation à la presse. Car si, effectivement, la première demi-heure du nouveau long métrage d’Ermanno Olmi s’avère un vrai parcours du combattant pour le spectateur néophyte en Histoire moderne, la suite récompense amplement les plus persévérants.
Italie, 1526. Le capitaine Jean de Médicis, âgé d’à peine 28 ans, est à la tête de l’armée pontificale chargée d’empêcher les troupes allemandes dirigées par le général Frundsberg de marcher sur Rome pour la mettre à sac. Alors que le prologue du film aurait pu virer à l’exposé géopolitique dicté par une monotone voix off (voir l’histoire de l’anneau dans Le Seigneur des anneaux), Ermanno Olmi parvient à déjouer l’ennui programmé par un procédé stylistique osé et de toute beauté. Les personnages historiques sont ainsi filmés frontalement, et se présentent eux-mêmes à la caméra comme pour un casting lambda ; à la fois figés dans une esthétique picturale très forte -ils semblent prendre la pose comme pour un portrait-, et rendus d’actualité par la présentation anti-académique d’Olmi. Car malgré l’ampleur du sujet évoqué par le cinéaste -le brillant destin du jeune Médicis brisé par l’arrivée des armes à feu, ou comment l’on passe du combat d’homme à homme aux affrontements à distance plus impersonnels-, Le Métier des armes n’adopte jamais une esthétique pompeuse ni fastidieuse.
Au risque de paraître anti-spectaculaire, Ermanno Omi opte pour le parti pris de la vraisemblance historique avec des combats filmés sans grandiloquence et rendus à leur véritable échelle (des batailles n’opposant souvent qu’une centaine d’hommes). Mais Le Métier des armes ne joue pas non plus la carte de la fidélité aux faits rapportés avec un soin quasi maniaque à la Tavernier dans Capitaine Conan. S’il choisit de garder quelques données de base, Olmi s’autorise heureusement un lyrisme feutré, souvent inattendu, parvenant, par exemple, à rendre toute sa pleine signification à la fabrication -somme toute anodine en soi- d’un boulet de canon. C’est par cette dramatisation très peu conventionnelle que le film nous séduit comme lors de la sublime séquence de l’agonie de Médicis. Estampillé film historique avec le cortège de préjugés vieillots qu’il charrie, Le Métier des armes n’en est pas moins d’une surprenante modernité stylistique.