Pavé aussi dense que monumental, From Hell, l’œuvre dessinée d’Alan Moore et Eddie Campbell est tout simplement inadaptable. Comment rendre compte en effet de ces 500 pages de pure paranoïa et de noirceur sans les édulcorer ? La déception était donc forcément au rendez-vous, restait juste à connaître son degré d’intensité.
Adepte de la théorie du complot -celle-là même qui fit les beaux jours de l’assassinat de J.F. Kennedy-, l’immense Alan Moore évoque l’un des plus célèbres serial-killer de l’histoire : Jack the ripper, plus connu sous le nom de Jack l’éventreur pour les amateurs de V.F. Dans un Londres crépusculaire, Moore se livre à l’autopsie minutieuse de ces meurtres, de sauvages assassinats de prostituées. Mais au-delà des cadavres qui jonchent le sol de la capitale, c’est l’Angleterre victorienne elle-même qui est implacablement décortiquée, celle d’une monarchie omnipotente et d’une franc-maçonnerie omniprésente.
Sans atteindre la richesse et la densité de la bande dessinée, les frères Hughes se tirent assez honorablement de cette adaptation. Entre les ghettos de l’Amérique décadente de la fin du XXe siècle (cf. Menace II society) et les bas fonds du Londres du XIXe, les différences sont finalement infimes. C’est donc avec une évidente maîtrise qu’ils filment le quartier de Whitechapel, théâtre des meurtres sanglants. On est littéralement plongé dans le cloaque londonien, le film parvenant à rendre palpables les eaux boueuses de la ville, l’air fétide de ses entrailles. De même la photographie d’une noirceur éblouissante rend parfaitement compte des cases saturées d’encre caractéristiques du graphisme d’Eddie Campbell. Malheureusement, après une première heure palpitante, From Hell ne tient pas toutes ses promesses. Dans la deuxième partie du film, les réalisateurs font en effet preuve d’une bien moins grande maîtrise de leur matériau. Cédant au conformisme, ils réduisent la narration à un classique récit d’enquête dans lequel Johnny Depp endosse une fois de plus ses habits de détective gothique. From Hell devient alors bien plus convenu à l’image du personnage de Mary Kelly interprété par Heather Graham, prostituée bien trop proprette pour être crédible. Du coup, le portrait de l’Angleterre victorienne devient moins tranchant et le film, moins trouble, perd alors de son pouvoir de fascination.