Après un divorce houleux, un chauffeur de taxi poursuit sa tâche en errant dans les rues de Pékin. Le film de Ning Ying part d’un projet ambitieux : décrire, à partir d’un sujet relativement simple, les mutations en cours dans la Chine post-Maoïste. Car derrière les petits faits divers, une suite d’événements sans importance (une succession de rencontres au fur et à mesure du parcours de Feng De, le héros) se dessine en toile de fond le portrait d’une ville et de son âme, perdue entre ancienne valeurs (le thème du mariage) et avenir social incertain (mafieux, nouveaux riches et délinquants).
La scène du divorce qui ouvre Un Taxi à Pékin enclenche cette impression de fracture dans laquelle s’engouffre progressivement tout le récit. Beaucoup de belles choses sont à retenir d’un tel film : la dynamique transparente de son écoulement, une démonstration tranquille des capacités du cinéaste à capter une réalité sociale sans jamais sacrifier au plaisir de la pure fiction. Certaines scènes, plastiquement très travaillées (celle où Fang De s’allonge au bord de la route, ivre, alors qu’une jeune beauté se met à danser en arrière-plan), atteignent presque la grâce. Presque car quelque chose, néanmoins, empêche le film de tourner à plein. Première raison à cela : en choisissant cette simplicité purement démonstrative, Ning Ying ne peut s’empêcher de flotter au milieu de thèmes pseudo-modernes (l’errance, le vagabondage nocturne à la Taxi driver) sans jamais faire oublier ce qui a pu être fait, de façon beaucoup plus ambitieuse, avant lui. Et puis Un Taxi à Pékin repose sur une progression assez vaine : derrière l’écriture blanche d’un récit un peu scolaire, rien ne vient vraiment bousculer le spectateur (le film a d’ailleurs été remonté plusieurs fois et pourrait durer 1h30 comme 3h sans que rien n’évolue).
Seconde raison : le morcellement en vignettes du récit (rencontres attendues, suicide de l’ex-femme du personnage principal, fin en suspension) contredit plus ou moins la volonté de profondeur de son discours. Tout reste ici à l’état de belle vitrine, la propreté illustrative des scènes donnant rapidement à l’ensemble une espèce de propreté et d’élégance suspectes (Feng se fait tabasser, il ressort de la boue aussi fringant qu’un héros de sitcom). Voilà ce qui nuit au projet : le refuge dans une sorte d’académisme clean, une sophistication qui l’empêche toujours de plonger dans la profondeur vénéneuse de ce qu’appelle ce genre de voyage intérieur aux frontières du gouffre. Reste une jolie fable urbaine qui, en oscillant entre esthétique « chipster light » et film noir dilué, agit comme une sympathique ébauche de ce qu’il aurait pu être avec un peu plus d’ambition. Ce qui le rend tout à la fois agréable et vain, sans autre effet que d’annoncer cette chute que l’on ne sentira jamais dans l’agencement froid de ses belles images.