Après La Balançoire (inédit en France) et Le Fils adoptif qui évoquaient respectivement l’enfance et l’adolescence, Le Singe clôt la trilogie autobiographique entamée par Abdykalykov. Cette fois, on retrouve le héros des précédents opus -interprété par le propre fils du cinéaste- à l’orée de l’âge adulte, au moment il est sur le point de partir faire son service militaire. L’occasion pour le réalisateur kirghiz de nous offrir une belle chronique sur cet âge délicat de la vie, et d’évoquer avec une tendresse non dénuée d’humour les bals d’été et les premiers émois sexuels. Mais Abdykalykov ne sombre jamais dans la nostalgie complaisante et évite de nous livrer un tableau de cette période enjolivé par le flou des souvenirs. Surnommé « le singe » à cause de ses oreilles décollées, le héros du film comprend très vite qu’il n’est pas le plus beau garçon de la bande et que séduire la fille de ses rêves n’est pas partie gagnée. Aux premières blessures sentimentales s’ajoute aussi la douleur de voir un père sombrer irrémédiablement dans l’alcoolisme au point de provoquer le départ de la mère et de la sœur cadette.
Si l’histoire racontée par Abdykalykov est aussi vieille que le monde -en gros, la fin progressive d’une certaine insouciance- et qu’elle donne lieu à quelques passages obligés évidemment prévisibles, l’intérêt du film réside surtout dans la manière de mettre en scène cette mémoire. Abdykalykov partage avec son ex-compatriote, le Kazakh Omirbaev, ce même goût pour des récits où la parole se fait rare, supplantée par une confiance absolue dans le pouvoir évocateur des images. Les deux réalisateurs témoignent ainsi de la même prédilection pour un cinéma épuré qui fait la part belle au suggéré plutôt qu’au « déclamé ». Chez Abdykalykov, cette approche se traduit par un souci constant du cadre, très travaillé, et un sens certain de la durée pour capter au mieux l’ambiance ou plutôt « l’humeur » de son sujet. Pourtant, le cinéaste s’autorise parfois quelques élans lyriques comme lors de la sublime scène de l’incendie, métaphore enflammée signant pour le héros la fin définitive de ses rêves d’enfance.