Exactement un an après The W qui amorçait, à coup de boucles brutales, une brèche dans la souplesse des productions du clan new-yorkais, RZA et sa bande remettent le couvert pour un nouvel opus curieusement court (12 titres), mais qui ne manque pourtant pas d’emporter dans son flot, rimes aiguisées et productions agressives. Le maître à sampler en donne le ton dès les premières notes en coupant sauvagement quelques mesures d’une mélodie soyeuse tirée d’un orgue par une boucle de cuivre irritante, bardée de coups de feux, de sirènes et de hurlements : « Dis’ Wu-Tang, Mo’Fukaz !! »
Et d’emblée, la pochette ne laisse aucun doute quant à l’inspiration principale de cet album au long duquel le clan affiche sans équivoque une fascination pour l’univers guerrier, symbolisé par une photo qui met en scène les shaolins/marines plantant la bannière étoilée/Wu-étendard sur un sol étranger. Image qui rappelle curieusement l’iconographie glorieuse et un rien nationaliste des troupes américaines pendant la bataille d’Iwo Jima à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A la suite de ces réflexions, Ghostface Killa ouvre l’affaire en condamnant les attentats du 11 septembre : « Who the fuck knocked our buildings down ? », tout en prenant soin de remettre Bush et ses sbires à leur place, pour s’emparer des rennes : « Mr. Bush sit down, I’m in charge of the war ! ». Un texte, une réflexion qu’on attendait au final plus pertinente. Là-dessus, la famille au complet se pose et enchaîne ses phrases à la queue leuleu. Method Man coupe la parole à Ghostface Killah qui envoie balader à son tour GZA, qui lui-même a viré du beat quelques mesures plus tôt l’ingénieux Inspecta Deck. Amples et droits, les flows impeccables des bonhommes attaquent les rythmiques comme on tranche un steak, sans éraflures ni dérapages. Manque quand même le flow sale et les blagues potaches d’un Ol’Dirty retenu dans quelque geôle du nord de l’Amérique…
Musicalement, RZA mélange dans sa profonde marmite plans électroniques, rythmiques old-school, samples cuivrés au son éraillé et saupoudre le tout de vieilles invectives tirées des précédents opus du clan, notamment l’incontournable « Wu-Tang, Wu-Tang !! » échappé du désormais classique 36 chambers. Remettant au goût du jour son amour sans borne pour les samples au son brutal, il use et abuse de recettes violentes, à l’instar de ces mélodies de cuivres puissantes sur Uzi (Pinki Ring), qui, une fois mises en boucles résonnent entre nos oreilles comme une sirène lancinante et sans fin. Ce subtil alliage de rythmiques herculéennes -dont certaines projettent directement la sauce au début des années 90 entre Public Enemy et Cypress Hill (Radioactive)- de samples de soul, de saxophones, de pianos ou de cithares, le tout agrémenté de quelques touches d’une électroniques bienveillante (le beat de Chrome wheels est emprunté au récent opus de son ego Bobby Digital), installe autour des rappeurs une atmosphère sale, rugueuse et poussiéreuse. Et, comme un résumé de ce climat sombre et décousu, résonne au fond de l’étrange The Glock (un titre court qui suit Iron flag, mais mentionné nulle part, ni sur la pochette, ni dans les crédits), une batterie au son garage, des toms caverneux et des cymbales poussives qui sonnent comme une première démo !
Juste mesure également au niveau des invités. Ni trop ni trop peu. Flavor Flav, joker mythique de Public Enemy ouvre les hostilités sur Soul power « 2002, Represent da motherfuckin’ WU« , jusqu’à s’embarquer dans une longue discussion avec Method Man, au cours de laquelle ils se découvrent des racines communes et de la famille dans les mêmes quartiers. Suivent les Word up de rigueur. Entre dans la danse à sa suite Ron Isley, transfuge des Isley Brothers, qui multiplie les featurings ces temps-ci (cf. Infamy, le récent album de Mobb Deep), et qui tombe ici à pic pour susurrer de sa voix suave le refrain de Back in the game.
Capricieux, versatile et ample, Iron flag s’inscrit dans la continuité de The W, à ceci près qu’il évite soigneusement les redites fâcheuses qui écornaient le précédent, et coule du premier au dernier titre avec une même hargne, terminant bien évidemment sa course entre quelques samples de kung-fu, bruits de sabre et autres invectives asiatisantes. Once again !