Ne vous fiez pas aux apparences : si le nom du groupe et le design de la pochette peuvent laisser présager une fastidieuse série de collages électroacoustiques, les expérimentations sonores d’un obscur projet de rock allemand, voire les errances minimalo-branchouilles d’un jeune groupe rétrofuturiste émule de Stereolab, ce disque constitue en réalité l’un des plus étincelants joyaux cachés de la pop orchestrale des années 60. A ranger près de l’anthologie de The Left Banke ou du fabuleux Odessey & oracles des Zombies. Les passionnés du genre, qui tentaient désespérément depuis des années de se procurer la seule réédition disponible de ce petit chef-d’oeuvre (paru à la fin des années 90, exclusivement en vinyle, chez Bam Caruso) peuvent aujourd’hui, enfin, placer ce rutilant Graal sur leur table de chevet, grâce aux efforts de l’inestimable maison Sundazed (qui publie d’ailleurs dans la foulée l’intégrale de Harper’s Bizarre et de The Cyrkle). Les profanes, quant à eux, s’étonneront certainement que des chansons aussi accessibles, mélodiques et somptueusement produites, n’aient jamais joui d’une popularité plus grande.
Quel fan de Paul Mc Cartney pourrait effectivement contenir son émotion à l’écoute de She’s alone, cousine tordue d’Eleanor Rigby ? Quel fondu des Kinks bouderait son plaisir lors de cette Audience with Miss Priscilla Gray aux parfums de music-hall ? Il faut croire, à se pencher sur son parcours, qu’une malédiction s’est abattue sur Mike Brown, pianiste et compositeur de la plupart des chansons de cet album… Initiateur et tête pensante, dès 1966, des élégants The Left Banke, l’un des tout premiers groupes américains à célébrer le mariage des chansons pop-rock avec la richesse orchestrale héritée des formations classiques (cordes, bois, cuivres), Brown quitta cette prestigieuse formation en 1968, après la sortie de son premier album, pour se consacrer à d’autres projets. Motif invoqué : à l’instar du Beach Boy Brian Wilson, il ne prend aucun plaisir à tourner et préfère se cloîtrer en studio pour se livrer uniquement aux joies de l’enregistrement.
Le premier (et unique) album du groupe Montage -une bande d’amis musiciens qui le convie à venir jouer du piano et superviser les arrangements vocaux de leur disque- lui donne l’occasion de reprendre les choses là où il les avait laissées avec The Left Banke. A commencer par deux compositions déjà enregistrées par ces derniers et que Brown voulut retravailler avec Montage : le légendaire Desiree, qui gagne en morgue et en élégance ce qu’il perd en énergie, et le plus obscur Men are building sand, dont l’arrangement de Montage -plus sobre que l’original- souligne l’intrigante sinuosité mélodique.
Le reste de l’album oscille entre le très bon et l’excellent : compositions de haute tenue, harmonies vocales fastueuses, interprétation impeccable, arrangements magnifiques, le tout mis en valeur par une production limpide et intemporelle… Bien que Brown ne fût pas à proprement parler un membre de Montage, il semble évident au vu de la place prépondérante occupée par le piano dans l’album et la troublante ressemblance de son contenu au répertoire du Left Banke, qu’il joua un rôle déterminant dans l’élaboration de ce disque. Et qu’il mérite, de ce fait, nos plus enthousiastes louanges pour cette addictive collection de chansons pop dont le seul défaut est d’être -avec ses trente fugaces petites minutes- de si courte durée.